Vivre l’UTHC

  • Collection personnelle

Depuis des années, je rêvais de participer à l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC). L’ampleur de l’événement, l’un des plus importants de la course en sentier au Québec, son terrain de jeu, les montagnes de Charlevoix que je chéris, et les commentaires élogieux des vétérans me titillaient. Mais un événement à la mi-septembre, ce n’était jamais possible, travail oblige.

Mais une tournée journalistique sur la Côte-Nord m’a donné une occasion en or d’y faire un petit arrêt en passant. Je me suis inscrit au 10 km, ne pouvant risquer une blessure deux semaines avant le Marathon de Montréal, où je participe au 42,2 km. Toutefois, pas besoin de se taper le calvaire du 125 km pour vivre l’ambiance de l’UTHC. Au contraire, avec un défi modeste, on conserve toute l’énergie nécessaire pour rester au pied du Mont-Grands-Fonds, qui devient le centre névralgique de cette fête du trail.

Quand je suis arrivé sur le site samedi vers 17 h, c’était la fête. La bière coulait à flot. Les arrivées des coureurs des différentes épreuves requinquaient l’atmosphère aux deux minutes. Les rencontres avec les autres participants étaient faciles – tout le monde a une anecdote de course à raconter -, puis l’excellent spectacle de Sara Dufour a fait du site une fête. Je me suis quand même couché tôt. La table était mise pour ma course de 10 km, le lendemain matin, que je n’oublierais pas.

#jesuisloup

J’ai dans les chaussures près de 1500 km d’entrainement en 2023. De ce nombre, il n’y a probablement que 50 km en sentier. Donc, j’avais promis à mes coachs que je prendrais cette course mollo. Très mollo. Comme vous le savez, il a plu en masse cet été au Québec. Je m’attendais à une patinoire de boue… et ce fut le cas. De quoi se tordre une cheville et dire bye bye à mon marathon.

Mais bon, sous l’arche à 8 h 50, ma résolution de prendre cela mollo a presque failli prendre le bord de la forêt. Heureusement, j’ai jasé avec mon voisin de la ligne de départ. Comme je le fais souvent, je me suis mis à lui raconter ma vie sans qu’il ne me le demande. Celui-ci m’a fait jurer, à quelques secondes du départ, de tout mettre en œuvre pour ne pas me tordre la cheville. « Prends ça relax », m’a-t-il dit. Heureusement qu’il était là! Ce fut mon ange-gardien.

Bang, le coup d’envoi est lancé. Depuis des heures, je baigne dans l’atmosphère Harricana. Le monde est souriant et joyeux même s’ils sont pleins de boue et de sueur. Certains terminent avec des béquilles pis ils sont contents pareils. On le sent vraiment : c’est une fête bien plus qu’une compétition. L’expression quétaine: « L’important, c’est de participer » prend tout son sens ici. Ce n’est pas comme une finale de hockey où c’est le moment de vérité. Une course à l’UTHC, c’est la fin d’un long entrainement. C’en est l’aboutissement. Après les sacrifices, la récompense, qu’importe si on ne finit pas sur le podium. Tout cela pour dire que dans le peloton du 10 km, les coureurs semblaient tellement gentils que je m’excusais de les dépasser.

Ah oui, parce qu’après 4 km en mode « il ne faut pas que je me scrape mon marathon », j’ai commencé à me dire : pourquoi pas accélérer un brin. J’ai commencé à faire quelques dépassements. Puis à courir plus vite. J’ai trébuché à deux reprises, je me suis pris la cheville dans une trappe à ours de bouette, conservant mon soulier de justesse. A partir du km 6, j’étais seul au monde. On dirait que j’étais moins gêné d’aller plus vite à ce moment-là. J’ai trahi un tantinet mon ange-gardien. Désolé l’ami!

Dans les 2 derniers kilomètres, j’ai couru comme les humains courent vers l’apocalypse climatique, c’est-à-dire pas mal vite, car le sentier était large et facile. Je me suis excusé de dépasser deux autres personnes. J’ai conclu mon 10 km sous les bravos de gens que je ne connaissais même pas. Merci gang!

Voilà, c’est fait. “Je suis loup”, selon la formule consacrée de l’UTHC. J’ai reçu ma grosse médaille en bois et je me suis promis de revenir. Je fais parti maintenant de la meute et je ne vais pas l’abandonner!

 

Simon Diotte est rédacteur en chef du magazine Géo Plein Air, le grand frère de KMag.