Dur pour le dos ?
On entend encore de nos jours que la course à pied est nocive pour les genoux, même si ce mythe a été déboulonné par plusieurs études sur le sujet. On dit également que la course est dommageable pour le dos. Qu’en est-il vraiment ?
Qui n’a pas déjà entendu : « Moi, je ne cours pas, c’est bien trop dur pour le dos », ou bien : « Mon dos est trop fragile, la course, ce n’est pas pour moi. » En raison de ses impacts répétés, la course est perçue par certains comme une activité néfaste pour la colonne vertébrale. Il faut dire que les problèmes de dos sont légion : 80 % de la population en est affectée à au moins un moment de sa vie.
Des chercheurs australiens ont publié en 2017 dans la revue Nature une étude qui nous éclaire sur les effets de la course sur le dos. En comparant un groupe de non-coureurs, un groupe de coureurs de 20 à 40 km par semaine et un groupe de coureurs de plus de 50 km par semaine, ils ont démontré que les coureurs avaient des disques intervertébraux plus résistants que les non-coureurs. En vue de mieux saisir les implications de cette étude, il est utile de bien comprendre ce qu’est un disque intervertébral : un coussin amortisseur situé entre deux vertèbres, d’une épaisseur de 3 à 12 mm, cette valeur allant croissant de haut en bas de la colonne vertébrale. Pour imager, comparons ce disque à un beignet fourré à la confiture, la pâte autour étant constituée de multiples couches fibreuses (qui assurent la solidité) et la confiture à l’intérieur d’un noyau gélatineux rempli de liquide visqueux (qui assure l’amortissement). Les disques représentent donc un des nombreux mécanismes naturels d’amortissement des impacts associés à la course à pied. Revenons à l’étude. Cette recherche a établi que les noyaux gélatineux des disques des coureurs contenaient davantage de liquide que ceux des non-coureurs. En outre, les disques étaient plus épais, et ce, principalement chez les coureurs au kilométrage hebdomadaire supérieur à 50 km. Dans le cas des disques, une plus forte épaisseur et une quantité plus grande de liquide sont synonymes de résistance accrue et d’une meilleure santé. Cela va à l’opposé des effets du vieillissement, lequel diminue l’épaisseur des disques (ce qui contribue à notre rapetissement) et leur teneur en liquide. Ainsi, la course posséderait des vertus pour lutter contre le vieillissement des disques !
Avant de sauter aux conclusions, il est bien sûr nécessaire de pousser plus loin les recherches sur ce sujet, mais disons que les résultats de cette observation sont fort encourageants pour les coureurs, de même que pour les personnes qui effectuent des marches rapides. En effet, les chercheurs ont poursuivi leur étude en calculant les forces transmises dans la colonne vertébrale qui paraissent produire des effets positifs sur les disques intervertébraux. Selon eux, la plage donnant lieu à des adaptations bénéfiques se situe de la marche rapide à la course lente. Plus lentement ou rapidement, les effets ne s’avèrent pas significatifs. Cela amène de l’eau au moulin des fervents de l’entraînement à basse intensité. Les disques intervertébraux semblent en profiter. Quand on parle de dos, une bonne course facile sans forcer apparaît amplement suffisante. Les coureurs rébarbatifs aux intervalles à haute intensité seront heureux de l’apprendre.
Aussi, différentes recherches portant sur la santé du dos fournissent d’autres éléments pertinents : certains exercices d’élongation (sorte d’auto-étirement de la colonne) soulagent la pression sur les disques intervertébraux ; les exercices de gainage (travail des abdominaux profonds) aident à stabiliser le dos ; et plusieurs exercices d’étirement et de mobilité articulaire concourent à faire retrouver une bonne mobilité du dos. Pour avoir un bon dos, un coureur a donc intérêt à s’astreindre à un entraînement complémentaire. On ne le dira jamais assez : pour profiter pleinement de ses courses, on ne devrait pas seulement s’entraîner à courir !
En ce qui concerne les problèmes de dos sévères (hernie discale, arthrose sévère, discopathie sévère, névralgie sciatique…), il est préférable de consulter un professionnel de la santé afin de déterminer s’il est indiqué de courir. Si la réponse est positive, il est primordial d’être particulièrement attentif aux symptômes pendant et après la course tout en axant le programme sur la fréquence d’entraînement et non sur l’intensité ou la durée.
Idée lumineuse
Le corps s’adapte au stress en développant sa résistance, à condition que le stress soit convenablement dosé et la récupération suffisante. C’est vrai pour les os, les muscles et les tendons, et c’est vrai également pour les disques intervertébraux. La vision négative d’usure du corps relativement à l’entraînement est à revoir. Le corps n’est pas une automobile ; il est vivant et se remodèle sans cesse. Il est fait pour bouger. C’est dans le mouvement qu’il optimise le mieux sa santé.
Jean-François Harvey est ostéopathe, kinésiologue et auteur du livre Courir mieux.