Le retour au jeu

Après un très long voyage, un congé de maternité ou un arrêt forcé dû à un horaire surchargé ou à une blessure, le retour au jeu peut être emballant pour certains, pénible pour d’autres.

Notre collaborateur François Lecot, kinésiologue et entraîneur depuis une vingtaine d’années, Christiana Bédard-Thom, psychoéducatrice, consultante en préparation mentale et candidate au doctorat en psychologie du sport, de même que la rédactrice en chef Marianne Pelchat nous éclairent sur la façon de mieux gérer ce retour.

Retrouver le niveau

Comment aborder un retour à l’entraînement, et plus spécifiquement à la course à pied ?

D’entrée de jeu, reconnaissons que certains arrêts d’entraînement sont volontaires alors que d’autres non, et par le fait même durs à accepter. L’approche n’est pas la même selon que l’arrêt est planifié – une femme enceinte qui arrêtera prochainement de courir, un voyage durant lequel l’horaire et les lieux visités rendront l’entraînement impraticable – ou qu’il est imprévu – un accident, une blessure, des symptômes de surentraînement qui surviennent soudainement.

Une deuxième facette fondamentale, à prendre en considération, est la suivante : s’agit-il d’une interruption totale de la course et de l’entraînement, ou d’une diminution de la course et d’un changement du type d’entraînement, la course étant remplacée par un autre sport ? Sur les plans physique et mental, les conséquences diffèrent. Dans le premier cas, le maintien d’une condition physique est possible, et dans le second, des modifications notables se produiront vu l’arrêt complet de l’entraînement.

Quelles sont les grandes lignes à suivre lors d’un retour après une interruption ?

Sur le plan physique, un arrêt d’entraînement en course correspond à un arrêt, c’est-à-dire que le corps devra se réhabituer progressivement à absorber le stress mécanique même si la composante cardiorespiratoire aura été entretenue via la pratique d’un autre sport d’endurance comportant moins d’impacts ou sans impact du tout. La meilleure stratégie de retour consiste à alterner des segments de jogging et de marche en débutant par des intervalles d’une minute. Le premier objectif sera, en exécutant un programme s’échelonnant sur quatre à huit semaines (selon la durée et le motif de l’interruption) de réaliser avec facilité 30 minutes de course continue.

Sur le plan mental, il est préférable d’adopter l’attitude du débutant en apprenant à se satisfaire du bon déroulement d’une séance au lieu de la comparer défavorablement à ce qui était fait auparavant. La patience et la prudence sont les alliées de qui se rétablit d’une blessure, car il arrive que le retour nécessite encore plus d’adaptation et de suivi que le programme d’entraînement traditionnel destiné à quelqu’un qui commence ou recommence à courir sans problème antérieur. Des revues de littérature traitant de l’incidence des blessures en course à pied révèlent que s’être blessé précédemment représente un facteur de risque de se blesser de nouveau ; ainsi, il importe d’être vigilant et de tempérer son enthousiasme.

Existe-t-il des avantages à ce genre de pause, ou cela a-t-il uniquement des conséquences négatives ?

D’emblée, comprenons que si l’entraînement amène le corps à devenir plus performant par rapport au stimulus qu’on lui donne, l’arrêt de l’entraînement occasionne l’inverse. On parle de désentraînement, soit la tendance du corps à revenir petit à petit à son niveau de base ; c’est le principe de réversibilité.

Deux distinctions sont à apporter :

  1. Si la pause est une diminution marquée de la fréquence d’entraînement en course ou un changement de pratique sportive, une planification d’entraînement adéquate préservera les acquis pendant un certain temps, mais on remarquera une légère baisse de la forme spécifique à la course ; dans le second cas, la forme deviendra plus spécifique à la nouvelle pratique sportive.
  2. Si par contre l’arrêt en est un de toute pratique sportive, des conséquences négatives sont à prévoir. Certaines modifications sur le plan cardiovasculaire influenceront négativement la consommation maximale d’oxygène tout comme d’autres, sur le plan métabolique, influenceront négativement l’endurance. En fait, selon les individus, après environ 10 jours consécutifs d’arrêt complet d’activité physique, l’organisme retourne progressivement à son état de base, c’est-à-dire aux valeurs normales d’une personne sédentaire.

Précisons deux aspects supplémentaires :

  1. Une pause pour se relever d’une blessure ou se rétablir d’un surentraînement doit être vue comme étant positive. Le corps est allé trop loin, il a besoin de repos.
  2. En outre de l’aspect physique, il y a l’aspect psychologique. On le sait, l’entraînement induit un état de bien-être et de satisfaction en plus de rehausser l’estime de soi et d’adoucir l’humeur ; conséquemment, un arrêt soudain et imprévu provoque parfois des symptômes semblables à ceux de la dépression.

Un coureur qui revient au jeu est-il nécessairement affaibli ?

Ce coureur est nécessairement différent d’avant, car il a perdu le stimulus d’entraînement propre à la course à pied. S’il est demeuré actif durant cette pause, la charge et le type d’activité physique poursuivie au cours de la période d’arrêt influenceront sa nouvelle condition physique de base lors de son retour, et certains acquis seront conservés, les effets de l’entraînement étant transférables d’une pratique sportive de type endurance à une autre de même genre.

Dans le cas d’un retour à la suite d’une blessure, la façon positive de voir la chose est que, bien souvent, la personne revient plus forte qu’avant sa blessure. En effet, lorsqu’on analyse la carrière de certains coureurs d’élite, on remarque à l’occasion qu’après une blessure, ils reviennent plus forts qu’avant. La longue pause leur a permis de se reposer, de guérir, de récupérer et souvent de développer de nouvelles qualités physiques ; ils ont rechargé leurs piles, et cela a un effet tremplin pour accéder à des sommets jamais atteints.

Deux coureurs atteindront-ils le même niveau de forme si l’un a toujours continué à s’entraîner et le second a observé une pause d’un an ?

Celui qui a continué à s’entraîner aura un avantage certain ; il devrait tout de même porter une attention particulière au stress mécanique engendré par les impacts de la course à pied, tout comme celui qui a complètement arrêté. Pensons aux cyclistes qui se mettent à la course trop rapidement à l’automne, une fois leur saison terminée. Ils sont en bonne condition physique sur le plan cardiorespiratoire et s’imaginent être en mesure de courir vite et longtemps. Malheureusement, la plupart du temps, ils se blessent, car le stress mécanique est absent en vélo. De là l’importance de tenter de rester le plus actif possible afin de maintenir son niveau de forme cardiorespiratoire grâce à la pratique d’autres sports comme la course dans l’eau, l’exerciseur elliptique, le ski de fond et le vélo, qui sollicitent des groupes musculaires comparables à ceux de la course. [François Lecot]

Trois pièges à éviter

Pendant que votre corps retrouve peu à peu l’endurance, la puissance, l’aisance et la fluidité du mouvement de la course, votre esprit risque de vous jouer certains tours qui pourraient avoir une incidence importante sur l’efficacité de votre retour. Par exemple, certains athlètes, bien qu’ils soient prêts physiquement à se remettre à l’entraînement, ne le sont pas psychologiquement. Selon Jean M. Williams, auteure et codirectrice de publication du livre Applied Sport Psychology: Personal Growth to Peak Performance, un retour est susceptible de susciter du stress provenant de certaines craintes comme se blesser à nouveau ou performer en deçà des accomplissements passés.

Il est démontré que des états psychologiques positifs – confiance, motivation, etc. – sont associés à un retour au jeu plus rapide et à une probabilité accrue de retrouver le niveau de performance antérieur. Ces états positifs sont fortement influencés par la façon dont le sportif perçoit son retour.

Reprendre la course peut être une aventure constructive et excitante ou un défi ardu. Tout dépend de votre perspective, de votre manière de vivre et d’entrevoir le chemin devant vous.

Voici trois pièges à éviter, des signaux pour les reconnaître, ainsi que des moyens et conseils efficaces pour les déjouer.

Le piège : vouloir en faire trop, et ce, rapidement

Signaux : Si vous entretenez des pensées comme « je dois rattraper le temps perdu », « je dois vite récupérer ma forme », ou si vous ressentez des émotions comme du doute, de l’insécurité, de l’anxiété, ou bien à l’inverse un trop-plein d’excitation, d’énervement, d’euphorie en lien avec votre retour.

Moyen : Élaborez un plan dans lequel figurent des objectifs. Vous serez en mesure de lâcher prise en sachant que vous faites ce qui est approprié pour regagner la forme de façon équilibrée et réfléchie.

Conseil :

  • Déterminez des objectifs spécifiques et difficiles qui tiennent compte de votre forme physique présente et de votre condition psychologique.
    • Ils seront spécifiques, c’est-à-dire assez précis pour que vous soyez capable d’évaluer leur atteinte (par exemple 30 minutes en continu d’ici quatre semaines).
    • Ils seront difficiles tout en étant réalistes. Ils s’arrimeront sur l’état actuel de votre forme et vous pousseront à vous améliorer progressivement. La progression est la clé. Des buts qui ne sont pas réalistes ou qui dépassent vos habiletés conduiront à la frustration et éventuellement à l’échec.
    • Ils viseront une performance (par exemple courir 5 km en 30 minutes), de même que le processus qui mène à la performance (par exemple tenir une cadence de 180 pas/minute en moyenne sur l’ensemble de votre entraînement). Les objectifs de processus dirigent l’attention sur ce qui est à faire durant la course afin d’atteindre plus efficacement les objectifs de performance.

Le piège : comparer vos performances présentes à vos anciennes performances

Signaux : Si vous entretenez des pensées comme « je me demande pourquoi ça me prend autant de temps reprendre la forme », « je n’y arriverai jamais » ou « j’ai l’impression de ne pas m’améliorer », ou si vous ressentez des émotions comme de la frustration, de l’impatience, de l’insatisfaction, un manque de confiance en vos capacités.

Moyen : Prenez conscience de vos pensées négatives liées à votre retour (par exemple « tous mes entraînements vont mal », « ce n’est pas ma journée », « je ne me sens pas à la hauteur »), et restructurez vos pensées nuisibles à l’aide de pensées réalistes, nuancées et basées sur des preuves ou des faits (par exemple « je progresse, car maintenant je cours en continu »).

Conseils :

  • Tenez un registre tangible sous forme de journal de bord dans lequel vous consignerez vos pensées, vos émotions, vos bons coups, vos moins bons coups durant vos entraînements.
    • Contrez vos pensées non productives par des arguments s’y opposant ; aidez-vous à trouver des arguments en utilisant vos bons coups rapportés dans votre journal de bord.
      • Substituez vos pensées nuisibles par d’autres réalistes et reliées à vos arguments ; affermissez vos nouvelles pensées en les notant dans votre journal de bord. Vérifiez le niveau de croyance dans la nouvelle pensée. Le niveau doit être au-dessus du seuil de 50%, s’il est en deçà, recommencez  le processus.
    • En ce qui concerne les moins bons coups, misez sur des éléments sur lesquels vous avez le contrôle en choisissant des stratégies, des actions à mettre en place afin de progresser lors de votre prochain entraînement.

Le piège : éprouver de la difficulté à retrouver le rythme

Signaux : Si vous entretenez des pensées comme « je n’ai plus le temps de m’entraîner », « je me sens trop fatigué », « je n’ai pas la motivation », ou si vous ressentez des émotions comme du découragement, une absence de plaisir, de l’ennui, un sentiment d’obligation.

Moyens :

  • Reprenez l’habitude de courir en créant intentionnellement de l’espace dans votre horaire.
  • Fixez vos objectifs et divisez-les en sous-objectifs.
  • Récompensez l’atteinte de vos objectifs.
  • Entourez-vous de gens qui vous soutiennent.

Conseils :

  • Courez toujours au même moment de la journée. Cela ancre l’habitude. Courir le matin évite le danger de distractions possibles au cours de la journée.
  • Si vous avez en tête un but à long terme (par exemple participer à un demi-marathon), fractionnez-le en plusieurs sous-objectifs (par exemple prendre part à un 5 km, un 10 km). Ces buts au terme raccourci permettront d’obtenir des résultats immédiats. Cette combinaison de court et de long termes stimulera votre motivation.
  • Soulignez l’atteinte de vos objectifs, petits ou grands, par une activité ou une action qui vous procure du plaisir ou va dans le sens de votre bien-être. Cela renforcera positivement vos efforts et vous encouragera à persévérer.
  • Échangez avec des personnes réceptives, avec qui vous vous sentez à l’aise de vous exprimer en toute confiance. Que ce soit votre entraîneur, votre conjoint, un ami ou un membre de votre famille, partagez votre expérience avec des gens qui vous soutiendront le long de votre retour ou qui sont déjà passés par là. Ces échanges vous aideront à constater vos améliorations, à vous redonner confiance et à ajuster vos attentes afin qu’elles soient réalistes. [Christiana Bédard-Thom]

En savoir davantage :

Applied Sport Psychology

Cet ouvrage renseigne sur les théories psychologiques et les stratégies mentales contribuant à optimiser la performance et le développement personnel de sportifs
de tous les niveaux.

Williams, J. M. et Krane, V. (2015). Applied Sport Psychology: Personal Growth to Peak Performance (7e éd.).
New York, NY : McGraw-Hil Education.

 

Mon expérience

Un an en bateau, ça te fout en l’air une forme de course ! C’est magnifique et relaxant, le catamaran, mais ça engourdit aussi, même si j’ai été active aux manœuvres et en mer. Mon arrêt était évidemment très volontaire et entièrement choisi. Il a servi de reset complet à mon corps et à ma tête. Mon retour s’est donc effectué alors que j’étais très reposée et surtout fort motivée. J’avais hâte de courir et j’avais le goût de m’entraîner.

Recommencer des intervalles sur la piste de 200 m a été du bonheur, disons… aigre-doux ! Le peloton avec lequel j’avais, un an plus tôt, l’habitude de faire des séances d’intervalles me devançait aisément de 5 à 10 secondes au tour ! Grrr… Que se passait-il ?

J’ai ragé. J’ai rongé mon frein. Et j’ai pris mon mal en patience. Toutes ces années d’entraînement et de compétition ne pouvaient quand même pas être disparues à jamais ?… Le corps a une mémoire, non ?

Avec sagesse, j’ai repris doucement et progressivement la forme, accumulant et augmentant le kilométrage semaine après semaine. Mes résolutions post-congé sabbatique d’une année ont également contribué à ne pas retomber dans le surmenage. Garder un équilibre global entre le travail, la vie de couple, les amis, la famille, les tâches domestiques et l’entraînement sont dorénavant une condition sine qua non.

Le point de bascule salvateur ? Quelque part l’hiver dernier, après une dizaine de semaines d’entraînement assidu. Enfin, ma foulée, ma respiration et mes habituelles sensations de coureuse revenaient. Je sortais du désert.

La forme physique retrouvée a influencé mon état d’esprit positif, et vice versa. Conjointement, ils ont accru mes chances de performance. Car sur le fil de départ du 21,1 km du Marathon d’Ottawa – ma toute première compétition officielle en deux ans –, j’étais prête physiquement et mentalement. J’avais envie de courir, de pousser la machine, d’essayer de me rapprocher de mes temps antérieurs et avant tout d’avoir du fun dans l’effort.

Avoir eu ce reportage sous la main aurait assurément apaisé mes craintes. J’aurais su qu’un arrêt momentané n’est pas une fin en soi. J’aurais évité de voir ma pause d’entraînement comme une forme physique irréversiblement perdue. [Marianne Pelchat]