Les périls de la surchauffe
Canicule, indice humidex, veille de chaleur accablante
Si on se fie aux scientifiques, ce n’est que le début. Pour le coureur nord-américain moyen, qui hiberne au minimum six mois sur douze, la chaleur est un défi de plus en plus présent et qui doit être pris au sérieux lorsqu’on se prépare à une course d’endurance estivale.
Aujourd’hui, c’est le grand jour : enfin le demi-marathon ! Vous vous entraînez depuis plusieurs mois. C’est la mi-juillet, il fait chaud et humide. Rien d’extrême, mais tout de même inconfortable. La nuit a été écourtée, car le sommeil n’était pas au rendez-vous. Ce n’est pas la journée pour établir un record. On ne poussera pas trop, on va y aller mollo.
Au 10e kilomètre, il fait vraiment chaud, mais ça va aller. Les kilomètres passent et la cadence ralentit… Soit, vous ne pulvériserez pas un record, cependant vous terminerez coûte que coûte ! Le reste devient flou : vous avez fini la course, mais vous n’avez aucun souvenir de l’arrivée ou de l’accueil de vos proches…
La prochaine chose que vous réalisez est que vous êtes dans un bain de glace, entouré de gens qui s’affairent autour de vous. Vous vous retrouvez allongé dans un lit d’hôpital, soluté au bras. Le médecin vous explique que vous êtes hospitalisé à la suite d’un coup de chaleur et que vous l’avez échappé belle.
On parle d’épuisement à la chaleur (ou insolation) quand il y a surchauffe simple. Le coup de chaleur implique, en outre d’une température corporelle élevée, une altération de l’état de conscience (allant de la confusion simple jusqu’au coma).
Comment cela a-t-il pu arriver ? Vous étiez bien entraîné. Rien ne laissait présager une telle défaillance. Quels facteurs y ont contribué et comment cela aurait-il pu être évité ?
Les facteurs
Les décès dus à un arrêt cardiaque font l’objet d’une large couverture médiatique. Or peu de gens savent que lors d’une épreuve de course à pied d’endurance, le risque de mourir d’un coup de chaleur est dix fois plus grand. C’est du moins ce que révèle une étude israélienne publiée en 2014 portant sur au-delà de 13 700 coureurs ayant participé à 14 courses d’endurance entre 2007 et 2013.
Aussi, qu’est-ce qui fait qu’un coureur est pris d’un coup de chaleur quand des milliers d’autres terminent la même épreuve sans difficulté ? Afin de bien comprendre les facteurs en jeu, séparons les facteurs externes des facteurs internes.
Les facteurs externes (ou extrinsèques) proviennent de l’environnement ou de l’épreuve et affectent tous les coureurs de la même façon :
- La chaleur et l’humidité ambiante : attention, il est possible de souffrir d’un coup de chaleur même dans un climat tempéré.
- La radiation solaire par exposition directe ou indirecte (route asphaltée, sable, etc.) et le peu de protection ou de zones d’ombres : imaginez courir un marathon dans les champs de lave à Hawaii, comme au Ironman !
- L’habillement ou la tenue sportive : pensez aux militaires et aux footballeurs.
- L’intensité de l’épreuve.
Les facteurs internes (ou intrinsèques) influent sur le métabolisme du coureur et sur sa capacité à s’acclimater à la chaleur. On croit qu’ils jouent un rôle primordial dans la survenue d’un coup de chaleur en entraînant un dérèglement de la capacité à diffuser la chaleur. Parmi les plus déterminants, on trouve :
- Le niveau d’acclimatation et d’entraînement : les athlètes moins adaptés sont nettement plus à risque. On doit compter de deux à trois semaines d’acclimatation avant l’épreuve, bien que cela varie d’une personne à l’autre. Ce n’est pas toujours pratique quand on vit dans les régions nordiques et qu’on voyage au sud pour prendre part à une rencontre sportive. Certaines stratégies telles le sauna et la pièce chauffée peuvent être utilisées préalablement au départ dans le but d’amorcer l’acclimatation.
- L’hydratation avant et pendant l’épreuve : on vise une hydratation optimale sans toutefois tomber dans la surhydratation, qui n’est pas non plus sans risque.
- L’indice de masse corporelle : le surpoids fait augmenter le risque.
- La prise de médicaments (antihistaminiques, diurétiques ou psychostimulants) : ceux-ci perturbent le seuil de reconnaissance des symptômes liés à la chaleur.
- Une maladie sous-jacente, par exemple une maladie virale, dans les jours précédant l’épreuve.
- Un coup de chaleur dans le passé : avoir déjà éprouvé un tel malaise accroît significativement le risque dû à une altération prolongée ou permanente des mécanismes naturels d’adaptation à la chaleur.
Lorsque la température corporelle dépasse 40,8 oC, il en résulte une cascade d’événements menant à une dysfonction de tous les systèmes du corps et, éventuellement, à une destruction cellulaire pouvant causer la mort, à moins d’une intervention très rapide des secouristes.
Il importe d’abaisser rapidement la température, en moins de 30 minutes si possible, avant même le transport vers l’hôpital. Le meilleur moyen est d’immerger sans délai le coureur dans un bain de glace, jusqu’à ce que la température corporelle descende sous 39 oC (en général en 10 à 15 minutes). Aucune autre mesure n’est aussi efficace, et les médicaments pour contrôler la fièvre ne sont d’aucune utilité. Si l’immersion complète n’est pas disponible, on recouvrira alors l’athlète d’un drap mince et de glace puis on l’aspergera d’eau froide, ou encore on l’arrosera directement.
Mieux vaut prévenir que guérir
Comment donc prévenir le coup de chaleur, en tant qu’organisateur de course et en tant que coureur ?
L’organisation
- Devancer le départ de l’épreuve en vue de réduire l’exposition à la période la plus chaude de la journée, par exemple, lors du marathon d’Ottawa en 2016.
- Disposer tout au long du parcours des douches froides ou des arrosoirs. Au marathon de Paris de 2016, les pompiers arrosaient les participants.
- Donner à tous les coureurs accès à une grande quantité de glace du commencement à la fin du trajet.
- Utiliser un système d’alerte à drapeaux de couleurs comme le Event Alert System, qui se répand dans les courses d’endurance en Amérique du Nord. Il permet une meilleure conscientisation des risques associés aux conditions météorologiques.
- Annuler ou reporter la course quand le risque est considéré comme extrême. Malgré l’annulation du marathon de Montréal en 2017, plusieurs cas de coup de chaleur – certains très graves – ont dû être traités lors du demi-marathon. On ne peut qu’imaginer les conséquences si le marathon avait eu lieu.
Les participants
- Avoir une bonne compréhension des facteurs internes et externes énoncés ci- dessus.
- À moins d’être parfaitement acclimaté et entraîné pour braver le temps caniculaire, ne pas viser sa meilleure performance et diminuer l’intensité. On ne veut pas que « finir à tout prix » prenne tout son sens… Ce genre d’attitude pourrait d’ailleurs bloquer les signaux émis par le corps.
- Tenir compte de l’acclimatation nécessaire. Si le temps manque ou si la météo joue des tours comme cela arrive de plus en plus fréquemment dans nos régions, réviser ses objectifs de performance.
- Adopter une stratégie d’hydratation raisonnable basée sur la soif même si la déshydratation n’est pas directement en cause dans le coup de chaleur. Ce n’est pas le moment de limiter la consommation de liquides.
- Saisir toutes les occasions de se refroidir, avec des éponges d’eau froide ou le tuyau d’arrosage offert par un spectateur bienveillant.
- Redoubler de vigilance si on prend des médicaments perturbant la thermorégulation (antihistaminiques, antidépresseurs, neurostimulants), et ce même par temps clément.
Le sport, généralement gage de santé et de longévité, amène parfois le corps humain aux limites de ses capacités. La meilleure prévention demeure toutefois d’écouter les messages qu’il envoie, de bien se préparer et de s’informer.
Marc Gosselin, M.D., urgentologue, médecin du sport et directeur médical du Ironman Mont-Tremblant