S’entrainer en hiver, ça se peut
Ce n’est pas parce que la « vraie » saison de triathlon paraît être un rêve lointain qu’il faut se tourner les pouces pendant la période froide. Bien au contraire.
Ça frappe quelque part en novembre, entre deux jours gris où Galarneau ne daigne pas se montrer le bout du nez : le blues du triathlon. Le cafard, ce mélange de mélancolie et de nostalgie, constitue le principal symptôme de ce « mal » bien connu de ceux qui nagent, pédalent et courent au-dessus du 40e parallèle nord. Le froid et les (trop) courtes journées rappellent alors aux membres honoraires de cette confrérie que leur sport chéri est par essence éphémère, qu’il ne se pratique in fine que quelques fugaces mois par année. Le constat, cinglant, fait dès lors naître un doute, une question : mais à quoi bon s’entrainer maintenant pour le triathlon?
Réponse : parce que votre corps le réclame. « Se croiser les bras pendant l’hiver est une mauvaise idée. Qu’on soit un athlète confirmé ou un sportif amateur, on devrait bouger, hebdomadairement, au minimum de 150 à 300 minutes à intensité haute ou modérée », explique Évelyne Blouin, kinésiologue, fondatrice du Groupe Kinexia, à Québec, et triathlète d’expérience. Sinon, c’est le déconditionnement assuré. Deux semaines d’inactivité physique suffisent à induire une diminution marquée de la consommation maximale d’oxygène (VO2max), le déterminant fondamental de la performance en triathlon. Au-delà de huit semaines, c’est la catastrophe : on devient carrément désadapté à l’effort.
Poursuivre l’entrainement, même en mode allégé, permet donc avant tout de freiner la perte des acquis. « C’est la différence entre avoir 15 ans d’expérience en triathlon plutôt que quinze fois une année », illustre Charles Perreault, entraineur émérite de triathlon et collaborateur à KMag. Ne pas recommencer à zéro est aussi une façon de mettre les chances de son côté en vue de sa future saison de triathlon. « Plus on entame tôt la préparation en vue d’un objectif, plus on peut être progressif dans son approche. Cela a pour effet de diminuer les risques de blessures et de favoriser de bonnes habitudes de vie et d’entrainement », souligne Évelyne Blouin.
Plusieurs approches
Un principe clé en matière de préparation physique est celui de la spécificité, qui dicte que l’organisme s’adapte en fonction de la nature de l’activité physique. Autrement dit : on développe ce qu’on entraine. Ainsi, réaliser des longueurs en piscine augmente davantage la capacité à bien nager que s’adonner au ski hors-piste. Même chose pour le vélo et la course à pied : multiplier les sorties virtuelles sur Zwift et aligner des intervalles sur piste intérieure contribuent bien plus au succès en triathlon que de faire de la raquette ou du rameur. De là à conclure qu’un triathlète gagne à hiverner dans son antre de la douleur – la fameuse pain cave –, il y a un pas que certains n’hésitent pas à franchir. À tort ?
« S’enfermer entre quatre murs durant toute la période froide est absurde. Nous avons la chance d’avoir de la neige au Québec, il faut en profiter », pense Charles Perreault, qui a connu ses meilleures saisons de triathlon après avoir pris part à des événements multisports d’hiver tel le Pentathlon des neiges. Comme son nom l’indique, cette épreuve bien de chez nous – elle a vu le jour à Lac-Beauport en 2005 avant de déménager sur les plaines d’Abraham – consiste à enchaîner cinq disciplines, soit le vélo, la course à pied, le ski de fond, le patin à glace et la raquette, en équipe ou en solo. Un excellent moyen de travailler les transitions, soit dit en passant.
Encore plus original, le Iceterra combine course à pied en conditions hivernales et vélo à pneus surdimensionnés. Deux éditions de ce duathlon des neiges ont été présentées à Lac-Delage, au nord de Québec, en 2019 et 2020. « C’est un peu venu en réponse à la popularité croissante du fatbike dans les dernières années. Beaucoup de cyclistes qui s’en sont procuré un ne veulent plus rien savoir de rouler à l’intérieur, alors pourquoi pas les triathlètes ? » s’interroge Alain Déraspe, organisateur des événements Iceterra et de son pendant estival, la Série Québec de Xterra. « Nous avons surtout connu un succès d’estime pour l’instant, mais nous comptons continuer à développer ce format. »
Varier les plaisirs a plusieurs avantages. Des sports comme le ski de patin et la course en raquette participent à développer de solides fondations aérobies sur lesquelles bâtir ensuite. Qui plus est, ils sont relativement peu traumatisants, ce qui en fait des formes d’entrainement croisé d’autant plus indiquées. Sans parler des bénéfices au regard de la motivation. « Pour le commun des mortels qui jongle avec une carrière, une famille et une vie personnelle, il est très difficile de se consacrer à 100 % au triathlon douze mois par année, note Évelyne Blouin. Le danger, en hiver, est de commencer trop fort et d’ainsi brûler de précieuses cartouches indispensables pour la suite. »
Définir sa formule
Au final, on doit s’arrimer à ses objectifs personnels : pour certains, triathlon rime avec gloriole et performance ; pour d’autres, avec plaisir et dépassement de soi. La nuance est importante, voire capitale. « Tenter de faire entrer un carré dans un cercle est vain. C’est la même chose avec un triathlète : il faut adapter le moule à la personne et non le contraire », affirme Évelyne Blouin. Cela signifie qu’il n’existe pas de formule clé en main. Les programmes d’entrainement proposés ici et là, entre autres par l’entremise des clubs de triathlon, doivent nécessairement tenir compte de sa réalité. « Ce n’est pas parce que l’entraineur prévoit six séances hebdomadaires de natation qu’il faut toutes les faire. »
À moins que la natation ne soit votre talon d’Achille, bien sûr. Le cas échéant, il pourrait être approprié de plonger souvent dans un bassin chloré pour y effectuer des exercices techniques. Et, pourquoi pas, s’exercer à d’autres nages que le style libre (crawl) ? « Nous avons tendance à nous concentrer sur nos forces, c’est un comportement tout à fait humain. Toutefois, les mois froids sont un moment parfait pour sortir de cet ornière et corriger ses points faibles », constate Charles Perreault. Cela est d’autant plus vrai pour le triathlète qui compétitionne selon son groupe d’âge. « L’idée, chez ce dernier, est d’investir son temps de la manière la plus bénéfique pour lui à moyen et long termes. »
Alain Déraspe suggère quant à lui d’établir un ratio entre séances d’entrainement extérieures et intérieures. Par exemple, on allouera de 70 à 80 % du temps d’entrainement à des activités hivernales, toutes pratiquées à intensité basse ou modérée ; le reste sera consacré à l’une ou l’autre des disciplines du triathlon, en mettant l’accent sur la qualité sous la forme d’intervalles à haute intensité. « Cela permet d’aborder le printemps en bonne forme physique tout en étant affamé pour la saison à venir », estime Alain Déraspe. Cette répartition du volume d’entrainement a en outre l’avantage d’être polarisée. Cela améliorerait davantage les performances en endurance que des approches plus traditionnelles comme celle au seuil, où on exécute un volume conséquent d’entrainement à desintensités modérées.
- Alain Déraspe
- Charles Perreault
- Évelyne Blouin
Et la musculation ?
La question ne se pose même pas : vous devriez bloquer un peu de temps à votre agenda pour brasser de la fonte, que ça vous plaise ou non. « Plusieurs triathlètes rechignent à faire de la musculation. Ils gagnent pourtant à s’imposer cette discipline, et pas juste en vue de performances sportives », fait observer Évelyne Blouin.
Un bon programme de musculation spécifique au triathlon permet en effet de stabiliser l’épaule, fort sollicitée à la natation, de renforcer la ceinture abdominale, essentielle pour générer efficacement des watts sur le vélo, puis d’améliorer le comportement de modération d’impacts, ce qui est synonyme de moins de blessures à la course à pied. « C’est une routine qui est indiquée à l’année, l’hiver en mode développement, et l’été en entretien des acquis », précise la kinésiologue.
Ça, c’est dans un monde idéal. De l’avis de Charles Perreault, le triathlète amateur qui dispose d’environ dix heures par semaine pour s’entrainer, parfois moins, peut très bien se passer de ce complément. « Chez ce dernier, c’est carrément superflu. Son temps sera mieux investi s’il s’adonne à des séances spécifiques au triathlon », dit-il.
Maxime Bilodeau est journaliste et kinésiologue de formation.