Le ménage du tiroir à diètes
« Qu’est-ce que tu manges pour courir vite de même ? » est une rengaine classique qu’on sort fréquemment aux coureurs. Mais que mange vraiment un athlète ?
Il suffit de faire un tour sur les médias sociaux et sur internet pour constater l’engouement que suscitent les différentes diètes, toujours plus innovatrices et révolutionnaires les unes que les autres. Qu’en est-il vraiment ? L’une d’entre elles permettrait-elle réellement de courir plus vite ou plus longtemps ? On débroussaille le tout.
Diète cétogène, « keto » ou high-fat low-carb
Peu importe le surnom qu’on lui donne, la diète cétogène se résume à manger beaucoup de gras et le moins de glucides possible. Le principe derrière cette façon de s’alimenter peut sembler alléchant : manger plus de gras, pour que le corps utilise celui-ci comme carburant, économisant ainsi les précieux glucides, reconnus pour fournir l’énergie aux muscles. L’idée est bonne. Et elle a été testée maintes fois en laboratoire, sur des sportifs de toutes sortes, notamment chez les marcheurs de compétition – ceux-là mêmes qui, aux Jeux olympiques, se déhanchent en allant à des vitesses drôlement surprenantes. Les résultats ? Oui, les sujets qui adoptent une alimentation riche en gras utiliseront plus de gras comme carburant pendant l’effort. Mais les performances, elles, dégringolent.
Il faut savoir que le corps humain utilise un ratio variable de glucides et de lipides (gras) comme substrat énergétique. Ce ratio dépend entre autre de l’intensité de l’exercice : plus l’effort est intense, plus les muscles ont besoin des glucides pour performer et maintenir cette intensité ; à faible intensité, on puisera davantage dans ses réserves de gras. D’où la beauté (et l’importance) des glucides. Lors de séances d’intervalles ou en compétition, alors que l’intensité est dans le tapis, les glucides sont de loin le meilleur allié. Et manger « keto » au quotidien, mais consommer plus de glucides les jours de compétition ? Cette stratégie mène également à des performances moindres, puisque le corps diminue la capacité à utiliser efficacement les glucides.
Le régime carnivore
Tout comme la diète cétogène, le régime carnivore exclut les glucides, cette fois-ci totalement. Au menu ? De la viande ! Beaucoup de viande ! Du poisson et des œufs aussi. Et c’est pas mal tout. Les aliments d’origine animale sont à l’honneur du matin au soir. Il est vrai que les protéines jouent un rôle important chez les sportifs, en particulier dans la formation des muscles. La sensation de satiété qu’elles procurent est également très intéressante. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des glucides, car le corps ne peut pas utiliser les protéines comme source directe de carburant : il lui faut mettre en œuvre des processus complexes pour transformer ces nutriments en énergie, une stratégie tout sauf efficace.
On pourrait traiter longuement des effets à long terme possiblement néfastes de cette diète sur la santé cardiovasculaire et les carences en vitamines et minéraux associées, mais le simple fait que cette diète élimine complètement les glucides est un drapeau rouge suffisant. Toute diète, passée ou future, qui tentera de vous convaincre de réduire votre consommation de glucides devrait être remise en question.
Végétarisme
Passons d’un extrême à l’autre. Parce que, bien que la diète carnivore ait eu son moment de gloire dernièrement, depuis quelques années, le végétarisme gagne du terrain, à la fois chez les sportifs et dans la population générale. Que ce soit pour des raisons éthiques, environnementales ou de santé, plusieurs optent pour le végétarisme, voire le véganisme. Exit alors tout produit animal. Certains s’inquiètent toutefois des risques de carences que comporte cette alimentation. En fait, retirer plusieurs sources de protéines complètes de son alimentation peut mener à des carences… mais uniquement si on ne les remplace pas par des équivalents végétaux. Il y en a de toutes sortes : tofu, tempeh, seitan, légumineuses, noix, graines de chanvre et bien plus sont au menu de plusieurs athlètes véganes qui performent très bien. Ajoutons qu’une alimentation déséquilibrée n’est pas réservée qu’aux végétariens : un régime alimentaire omnivore peut l’être tout autant. Dans le doute, il est toujours préférable de consulter un ou une nutritionniste, qui vous guidera dans votre transition alimentaire.
Quel est l’avantage de l’alimentation végétarienne ? Cette alimentation est souvent plus riche en glucides. Ah ! Enfin ! En remplaçant les portions de viandes par des légumineuses, on bonifie son assiette en carburant de choix. En somme, qu’on soit végétarien ou omnivore, maximiser ses performances sportives est pareillement possible. Dès lors, nul besoin de devenir végétarien à tout prix pour performer. Et les végétaliens peuvent aussi bien aspirer au podium que leurs homologues omnivores. La chronique Véganisme et course à pied du KMag du printemps 2022 vous en apprendra encore davantage sur ce mode alimentaire.
Jeûne intermittent
Cette diète, plutôt que d’intervenir dans le contenu de l’assiette comme les autres, impose un moment précis pour manger. Il existe toutes sortes de méthodes proposées, une des plus populaires étant le 16:8, c’est-à-dire jeûner pendant 16 heures et s’alimenter à l’intérieur d’une fenêtre de 8 heures, souvent entre 12 h et 20 h. L’objectif principal de cette diète – à l’instar de plusieurs autres – est de perdre du poids. Les études faites à ce sujet démontrent en effet une perte de poids associée au jeûne intermittent et équivalente à une alimentation restreinte en calories. Son effet n’est par conséquent ni meilleur ni pire étant donné qu’il induit également un déficit énergétique. Certains préfèrent néanmoins restreindre les moments pour manger plutôt que leurs choix alimentaires puisque dans le bloc de 8 heures permis, aucun aliment n’est requis ou interdit. Le sentiment de privation peut donc sembler moins grand.
Plusieurs facteurs limitants sont cependant à considérer avant d’intégrer le jeûne intermittent à sa routine. Tout d’abord, il est très difficile de condenser les besoins énergétiques élevés des sportifs dans un si court laps de temps. Les coureurs d’endurance et les triathlètes s’entrainent majoritairement de longues heures par semaine, augmentant ainsi leurs besoins énergétiques. S’ils ne sont pas capables de les combler dans les 8 heures allouées pour manger, ils pourraient manquer d’énergie pour performer et récupérer. Il en va de même pour les entrainements qui ont lieu à l’extérieur de la fenêtre de temps permis pour s’alimenter. Courir à jeun le matin n’est pas si mal, mais si on ne mange pas avant plusieurs heures suivant la course, la récupération risque d’en pâtir. Ces aspects logistiques et énergétiques doivent être pris en compte avant de se lancer dans ce type de diète.
Diète faible en fodmap
Contrairement à toutes les autres diètes, celle-ci ne concerne pas la perte de poids. Il s’agit plutôt d’une alimentation qui vise la réduction des symptômes gastro-intestinaux chez les gens souffrant d’un syndrome du côlon irritable (SCI). Cela consiste dans l’élimination d’une panoplie d’aliments contenant des sucres fermentescibles, donc qui exposent à des inconforts typiques du SCI. Le plus connu est sans nul doute le lactose, mais il en existe plusieurs autres, qui peuvent être la cause des ballonnements et d’épisodes alternant constipation et diarrhée. On compte dans la liste les pommes, les dattes, le melon d’eau, les asperges, l’avocat, les noix de cajou et le miel, pour ne nommer que ceux-là. Il est important d’observer cette diète à la lettre pour obtenir des résultats, et sous la supervision d’un professionnel de la santé tel qu’un ou une nutritionniste, afin d’éviter les carences malgré les nombreuses restrictions.
Et quel est le rapport avec le sport ? Des études récentes ont noté un bénéfice à réduire les aliments riches en fodmap avant les compétitions sportives, notamment celles de course à pied. Vous aurez sûrement remarqué que la course n’est pas toujours douce sur l’estomac et la digestion. Quand on y ajoute une bonne dose de stress en précompétition, les possibilités de troubles digestifs montent en flèche. Or, même chez les athlètes sans SCI, éliminer certains aliments riches en fodmap, plus difficiles à digérer en situation de stress et d’exercice, aiderait à diminuer l’occurrence de troubles gastriques qui surviennent pendant l’effort. Ça vaut la peine de s’informer et de l’essayer lors d’une prochaine compétition. Surtout si vous faites partie de ceux qui prient la veille d’une course pour que les intestins tiennent le coup…
Concluons encore et encore que la prochaine fois qu’on tentera de vous vendre la nouvelle diète qu’il faut absolument suivre pour courir plus vite, validez que les glucides y ont leur place et que l’alimentation en question vous permet de combler vos besoins énergétiques aisément et avec plaisir. Au fond, c’est tout ce qui compte.
Ève Crépeau M.Sc. Dt.P. Nutritionniste du sport et chargée de cours à l’Université de Montréal, pour le Club de foot (CF) Montréal et pour Baseball Québec