Avec ou sans musique ?

En compétition ou en entrainement, de très, très nombreux coureurs optent pour la musique comme partenaire. Et si écouter vos chansons préférées tout au long de votre course pouvait améliorer vos performances ?

Quand on demande à la communauté de coureurs s’il vaut mieux galoper avec ou sans musique, on comprend vite que les positions sont polarisées : c’est souvent « toute ou pantoute » ! Personnellement, je fais partie des « sans ». Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de rythmer mes pas sur le tempo dans mes oreilles : soit la mélodie ne s’accordait pas avec la cadence prévue, soit mon appareil s’éteignait au beau milieu d’un refrain, la batterie à plat, ou encore, le morceau compatible avec l’intervalle d’intensité me tapait franchement sur les nerfs. J’en ai conclu que je ne possédais aucun talent pour assembler des listes d’écoute ou que j’avais un goût douteux en matière de ritournelles.

De toute évidence, les nouvelles technologies et la portabilité des appareils ont accentué la mobilité des athlètes et contribué à l’essor de la musique dans le sport. Certes, le populaire Walkman de Sony a été un précurseur, mais aujourd’hui, la légèreté des montres qui permettent de télécharger nos meilleurs morceaux, combinée au confort d’écouteurs sans fil spécialement conçus pour la course, offre toute la liberté nécessaire pour que les coureurs accros de rythmes endiablés écoutent leurs pièces préférées tout en cavalant.

Pourquoi autant de coureurs ne jurent-ils que par la musique comme facteur de motivation ? En posant la question, j’ai obtenu plusieurs raisons assez convaincantes d’avoir à portée d’oreilles ses mélodies favorites. (Je l’avoue, j’ai mené une grande enquête Facebook pas très scientifique parmi mes amis coureurs, mais tout de même !) Que ce soit pour lutter contre l’ennui des longues distances, pour rester motivé durant tout le trajet, pour remettre au beau fixe le moral anéanti par la journée de travail ou pour se donner le petit boost indispensable quand les conditions extérieures incitent à demeurer à la maison, il semble que nos chansons préférées possèdent le pouvoir magique de nous faire tout oublier.

De meilleures performances sportives

Costas Karageorghis, éminent chercheur en psychologie du sport, dirige des recherches sur la musique dans les sports à l’Université Brunel, sise dans la banlieue ouest de Londres, en Angleterre. Il étudie depuis quelque 25 ans les effets de la musique sur les performances sportives et a produit un corpus de recherches impressionnant et fort intéressant à consulter. En mesurant notamment l’activité électrique du cerveau pendant la pratique d’exercice en présence de musique, il a démontré qu’en écouter accroît les performances de diverses façons.

Une diminution de l’effort perçu

La musique aurait, entre autres, le pouvoir d’atténuer la douleur et par conséquent d’améliorer l’endurance ; on pourrait alors courir plus longtemps. Le phénomène est assez simple : Costas Karageorghis et son équipe de recherche ont observé, en présence de musique, une diminution de l’activité cérébrale dans les parties du cerveau qui communiquent les signaux de fatigue. L’effort perçu serait donc moindre, particulièrement pendant un entrainement d’intensité faible à modérée. En revanche, plus l’intensité de l’activité augmente, plus la musique nuirait aux performances. En effet, pendant que vous vous distrayez avec vos mélodies préférées, votre cerveau utilise les mêmes stimuli pour transmettre les signaux de fatigue. Lorsque 75 % de l’effort aérobie maximal est atteint, il peine à gérer toute l’information, en particulier s’il y a des paroles. Maintenant, vous comprenez pourquoi votre musique vous irrite tant à 2 km du fil d’arrivée !

Le pouvoir de la synchronisation

Envie de taper du pied au son de votre air favori ? C’est normal : le corps tend à synchroniser ses mouvements avec celui du tempo musical. La musique produirait alors un effet métronome et favoriserait le maintien d’une cadence régulière. Costas Karageorghis et son équipe ont ainsi constaté une augmentation de l’endurance aérobie de même que des performances de 6 à 7 % meilleures chez les athlètes qui, dans les activités d’endurance, synchronisent leur foulée avec le rythme de la musique. Si vous voulez consciemment profiter de ces bénéfices, il est suggéré de choisir des pièces musicales dont le tempo se situe entre 135 et 140 battements par minute (bpm). Précisons qu’évidemment, votre sélection, peu importe le genre, devrait suivre la dépense énergétique prévue à votre entrainement. Il est facile de se laisser emporter par une pièce dynamique et de courir plus rapidement que votre cadence habituelle. Le changement de rythme fréquent devient un inconvénient si vous essayez de développer une cadence régulière ou spécifique. La régularité des rythmes et des accentuations, tout comme la simplicité des arrangements musicaux, sont donc à considérer dans le choix de vos mélodies et dans leur ordonnancement sur votre liste d’écoute.

Un état d’esprit optimal

Outre les effets neurophysiologiques et psychomoteurs, la musique aurait selon Costas Karageorghis un fort impact psychologique sur la performance des athlètes. S’identifier fortement aux messages dans les paroles de chansons, aux émotions évoquées par le contexte de la mélodie ou encore aux images mentales que génère une pièce musicale aurait un effet positif sur les pensées et pourrait être une source de motivation. Karine Nadeau, coureuse d’ultra-trail de la région de Québec ayant couru l’Ultra-Trail du mont Blanc et le Madeira Island Ultra-Trail à deuxreprises, illustre bien cet effet : « Je m’entraine généralement sans musique, mais j’ai pris l’habitude d’avoir toujours à portée de main une vieille playlist au cas où j’aurais un coup de mou sur le parcours. Au fil des années, je l’ai modifiée par l’ajout de chansons coup de cœur de mes proches. Alors à chaque morceau, mes pensées vont vers une personne qui m’est chère, et ça me motive à continuer. Bien sûr, je me garde Thunderstruck de AC/DC (136 bpm) avant le départ de chaque course ! »

Costas Karageorghis parle de ce phénomène dans une entrevue donnée pour le podcast Endurance Innovation. Il mentionne que les athlètes qui écoutent de la musique avant l’entrainement ou la compétition créent un environnement psychologique et un état mental propices à la mise en action et à la performance. Qui n’a pas utilisé le pouvoir d’Eye of the Tiger (109 bpm) ou de l’hymne du film Chariots of Fire (95 bpm) pour se convaincre d’aller souffrir sur 42,2 km ? Rappelez-vous cependant que tous les goûts sont dans la nature et qu’une chanson peut tout autant booster les performances de quelqu’un qu’anéantir celles d’une autre personne. J’ai le souvenir douloureux d’une coureuse sans écouteurs venue se coller à mes espadrilles durant les deux derniers kilomètres d’un demi-marathon et dont le cellulaire crachait les meilleurs titres du courant punk des années 80. Souffrant !

Pourquoi s’en passer ?

Inutile de souligner dans un encadré fluorescent que la principale raison de ne pas écouter de la musique en courant est la sécurité. Si la musique est essentielle à vos entrainements, elle ne devrait cependant jamais entraver votre capacité à percevoir les sons et les dangers qui vous entourent. Il est crucial sur une route ou un sentier fréquenté d’avoir vos oreilles à disposition pour diminuer les risques d’accident. Outre cet élémentaire conseil, retenez que sans musique, vous êtes plus conscient de votre environnement, de votre niveau de fatigue et de la manière dont votre corps bouge, ce qui participerait à réduire les blessures. Finalement, vous devez prendre en considération que beaucoup d’événements ou certaines disciplines comme le triathlon n’autorisent pas la musique durant leurs épreuves. Il est donc important que votre motivation ne dépende pas complètement des effets stimulants de la musique. Costas Karageorghis recommande aux athlètes compétitifs de faire un entrainement sur trois sans musique, de garder les séances intensives exemptes de toute distraction afin de reproduire l’environnement de compétition, de donner le ton à la séance en écoutant des morceaux inspirants en échauffement et de profiter de l’effet relaxant de mélodies douces lors de la période de retour au calme.

Edmond Roy, athlète professionnel XTerra et champion de la série XTerra Québec 2022, évite la musique en entrainement puisque son sport l’interdit dans ses règlements de compétition : « J’utilise la musique surtout pendant l’hiver, pour rendre les longs entrainements intérieurs plus stimulants. Je n’ai pas de toune préférée, mais ça finit souvent avec Kiss Kiss de Machine Gun Kelly (162 bpm) ! En compétition, c’est plutôt rare, mais j’en écoute surtout pour rester dans ma bulle avant la course et ne pas être trop attentif à ce qui se passe autour de moi. »

Le choix des meilleures chansons

Convaincu ? Il ne vous reste qu’à sélectionner vos morceaux de prédilection et à les agencer de façon à maximiser vos performances. Vous vous connaissez mieux que quiconque, alors faites les choix qui vous semblent les plus authentiques et fidèles à ce que vous attendez de votre entrainement. De nombreux sites et applications permettent de découvrir et de partager des listes d’écoute déjà optimisées pour la course, ou même d’effectuer des recherches de mélodies selon les bpm souhaités. Vous aurez certainement besoin de patience et de quelques essais avant de trouver la recette gagnante, celle qui s’accordera parfaitement avec votre état d’esprit du moment ou avec les bpm adaptés à votre entrainement. À explorer : le site songbpm.com, sur lequel on cherche un titre de chanson afin d’obtenir son nombre de battements par minute. Pratique !

Et si, comme pour moi, courir sans musique est un moyen de laisser la technologie à la maison et de s’immerger pendant 45 minutes dans l’instant présent, profitez des bienfaits de la musique en vous offrant la dose de motivation nécessaire à votre sortie ! Pour ma part, The Adults Are Talking, du groupe The Strokes (165 bpm), marche à tout coup ! Bonne course, les mélomanes !

 

Annie Létourneau est passionnée de course à pied et de plein air, et elle collabore régulièrement à KMag.