Ces mythes qui continuent de courir

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La course à pied rallie un nombre sans cesse grandissant d’adeptes. La littérature scientifique dans le domaine abonde, et coureurs aguerris ou récréatifs trouvent aisément à se documenter. Néanmoins, certaines fausses croyances ont la couenne dure et continuent de se répandre. C’est le moment de décortiquer les six mythes les plus tenaces en course à pied.

Même si la course se démocratise depuis plusieurs années et qu’elle touche autant les athlètes d’élite que les coureurs du dimanche, plusieurs mythes persistent. Qu’il s’agisse des craintes que suscitent les blessures, de préoccupations concernant l’équipement, de ce qui se rapporte à l’hydratation ou à d’autres aspects, le coureur inexpérimenté a parfois de la difficulté à se faire une tête. Les impératifs commerciaux des uns et les convictions des autres, même sans assise scientifique, viennent trop souvent fausser le portrait. C’est ainsi que les mythes s’immiscent et subsistent.

Il est difficile ensuite de différencier le vrai du faux pour le néophyte qui appuie sa stratégie de course sur les conseils bienveillants du beau-frère. Sans compter que dans le cas de plusieurs mythes, tout n’est pas noir ou blanc, mais plutôt teinté de gris.
Au fil de discussions avec des intervenants impliqués dans différentes sphères de la course à pied, KMag vous expose six de ces mythes qui reviennent incessamment dans les conversations.

Mythe no 1 : la course est dangereuse et cause des blessures

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Il s’agit sans l’ombre d’un doute du mythe le plus populaire. Dès qu’un individu bien intentionné décide de se mettre à la course à pied, quelqu’un, quelque part, lui dira assurément d’y aller mollo. Après tout, la course est source de blessures, particulièrement aux genoux, entonnent en chœur les plus craintifs. Ce qui revient le plus souvent, c’est que le coureur sera inévitablement rongé par l’arthrose du genou. « L’étude la plus probane est celle de Eduard Alentorn-Geli, qui a démontré que les coureurs récréatifs avaient en moyenne 3,5 % d’incidence d’arthrose, comparativement à 10 % chez les sédentaires. La course à pied protège de l’arthrose », tranche Blaise Dubois, président et fondateur de la Clinique du coureur.

Quant à ceux qui estiment qu’il vaut mieux ne pas se lancer dans la course parce que plusieurs personnes sont mortes en courant, c’est encore une fois faux. « Les dernières études montrent que si on court régulièrement, on réduit de 27 % le risque de décès spontané et on diminue de façon phénoménale une foule de pathologies. Il n’y a aucune pilule aussi puissante que la course », conclut Blaise Dubois.
Martin Lussier enseigne au département de kinésiologie de l’Université de Montréal et il est coauteur, avec Pierre-Mary Toussaint, de l’éclairant bouquin Mythes ou réalités sur la course à pied. Il recommande également la pratique saine de la course : « La course qui abîme les genoux, par exemple, est un mythe qui se propage surtout dans la population des non-coureurs. La course occasionne pourtant moins de blessures que certains autres sports impliquant plus de sprints et de changements de direction rapides. »

Mythe no 2 : il faut remplacer ses espadrilles après 800 km

Qui n’a jamais entendu cette phrase à la boutique sportive du coin, comme s’il s’agissait d’une règle absolue ? Or, la vraie réponse est bien plus complexe qu’une simple mesure kilométrique.
« Les gens me posent toujours la question. Si vous consultez de la littérature sur le sujet, vous allez trouver entre 500 et 2500 km. La fenêtre est très large », sourit le président et fondateur des boutiques Courir, Gilles Labre.
Selon cet expert, il y a trop de facteurs à considérer pour établir une norme universelle sur la durée de vie d’une paire de chaussures. « Tout dépend du poids du coureur, de la surface sur laquelle il court, de la manière dont il attaque le sol, de l’intensité de l’entrainement. Court-il avec ces chaussures l’hiver, ou non ? Les laisse-t-il dans l’auto quand il fait 40 dehors en été ? C’est multifactoriel, tout ça », résume-t-il.

Propriétaire de la boutique Le coureur nordique, Jimmy Gobeil ajoute qu’il importe de se fier avant tout à ses sensations de course. « Si tout à coup quelqu’un pour qui tout va bien, qui ne vit pas de stress au travail et qui s’entraine bien se met à éprouver des inconforts ou de la douleur, c’est un signal. Si les paramètres d’entrainement n’ont pas changé et qu’on s’entête à courir avec un vieux soulier, c’est peut-être effectivement là qu’est le problème », souligne-t-il.

Mythe no 3 : il est primordial de faire des étirements

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Voilà un autre exemple de mythe qui défie le temps. Catherine Gagné, kinésiologue spécialisée en course à pied, doit fréquemment rappeler à sa clientèle que les étirements n’ont d’incidence ni sur les blessures ni sur les courbatures. « Beaucoup de coureurs culpabilisent parce qu’ils n’ont pas le temps de faire des étirements. L’étirement sert à allonger un muscle quand on a des problèmes de flexibilité fonctionnelle. La course n’est pas un sport qui nécessite une grande flexibilité. On n’est pas en gymnastique ou en danse », image celle qui propose une autre voie. J’invite à remplacer les étirements par l’automassage, plus efficace pour tout ce qui est récupération. »

Bien entendu, dans le cas des étirements prescrits par un professionnel de la santé dans le but de soigner une pathologie, il est alors essentiel de respecter les recommandations.

Mythe no 4 : il faut boire de l’eau avant d’avoir soif

De toute évidence, il est important de bien s’hydrater. Cependant, plusieurs continuent de croire qu’il est de rigueur de boire de l’eau avant même le signal de la soif. Encore une fois, il s’agit d’une perception véhiculée à tort. Les bulletins de nouvelles alarmistes dans les périodes de canicule contribuent à perpétuer les mythes liés à l’hydratation.

Isabelle Morin, nutritionniste du sport, y va même d’une mise en garde : « À boire avant d’avoir soif, on se met à risque de trop boire et de vivre d’autres problématiques plus graves que la déshydratation qu’on essaie d’éviter. On ne peut pas dire, par exemple, ‟buvez 500 ml par heure”, car personne n’a le même gabarit, on transpire de manière différente. Pour une même durée d’effort, on n’assurera pas l’hydratation avec les mêmes quantités de liquide. Chacun aura des besoins différents. »
Pour sa part, Martin Lussier apporte une solution simple, mais qui a fait ses preuves : « Si on boit selon la sensation de soif, on devrait se retrouver dans une zone adéquate. Le type de course, la température à l’extérieur et l’humidité sont des facteurs qui influencent la quantité de liquide à absorber. »

Mythe no 5 : les glucides et les électrolytes sont essentiels

Trop de coureurs, sur de courtes distances, pensent erronément que de tels produits sont non seulement utiles mais critiques, afin de progresser. Encore faut-il commencer par les différencier.
« Les glucides vont procurer de l’énergie, ce que les électrolytes ne feront pas. C’est une chose que confondent encore les gens. Les glucides jouent vraiment un rôle sur l’énergie lors d’un effort de longue durée, alors que les électrolytes sont des minéraux qui aident à la rétention des liquides », clarifie la nutritionniste Isabelle Morin tout en recommandant la consommation de glucides dans le cas de sorties de course d’une heure et demie ou plus.

Gilles Labre, des boutiques Courir, rappelle quant à lui un concept aussi élémentaire que fondamental. « Aucun produit ne compensera une préparation inadéquate. Ce n’est pas de l’eau bénite ! » s’amuse-t-il en ajoutant qu’il est également indispensable de savoir prendre le temps d’habituer son corps à ingérer les glucides. « On voit des gens qui, la veille d’un marathon, veulent faire le plein de glucides, d’électrolytes et tout. Ce n’est pas le temps de faire des expériences. Il faut essayer ces produits tranquillement, à l’entrainement », conseille-t-il.

Pour Isabelle Morin, ce mythe en inclut aussi un autre, à savoir que les électrolytes seraient un rempart contre les fichues crampes. « Les électrolytes sont sans doute trop glorifiés. Consommer trop d’électrolytes peut fausser la sensation de soif, et c’est également un mythe de croire que les électrolytes favorisent la prévention des crampes musculaires. Les crampes relèvent beaucoup plus d’une fatigue neuromusculaire qui s’installe que d’un déficit en électrolytes », indique-t-elle.

Mythe no 6 : la cadence en course à pied doit être de 180 pas par minute

La fameuse règle des 180 pas par minute n’est pas fausse en soi, mais elle tend à être érigée en dogme. Comme pour bien des aspects qui définissent la course à pied, même si cette norme constitue un repère intéressant, le cas par cas devrait primer. « À la base, le nombre de foulées par minute est déterminé par la vitesse de course et la taille des coureurs. Il est normal pour les coureurs qui ne sont pas en haute vitesse de se retrouver sous la barre des 180 pas par minute. Les études scientifiques révèlent que le coût énergétique est meilleur quand le coureur fait ce qu’il veut plutôt que de se pousser à courir à 180 pas par minute », fait valoir Martin Lussier.

En conclusion

Les experts consultés s’entendent tous sur un point : si on doit se méfier des mythes, il est également nécessaire, pour apprécier et maximiser l’expérience en course à pied, d’éviter de trop complexifier l’activité. Les nombreux gadgets technologiques qui pullulent désormais dans le milieu ont certes leur utilité, mais revenir à la base ne sera jamais une formule perdante. « Pour le plaisir et la santé, il faudrait revoir l’importance de toutes les bébelles et retourner à quelque chose de plus simple et naturel. On a tendance à intellectualiser la course », plaide Blaise Dubois.

À titre de kinésiologue spécialisée en course à pied, Catherine Gagné rencontre tous les types de coureurs, particulièrement lorsqu’elle prépare des programmes d’entrainement spécifiques. À son avis, le mythe dont il est le plus difficile de se départir, c’est que pour progresser, il faut toujours en faire plus et plus vite : « Il y a des moments où on doit vraiment avoir un entrainement intense, mais la majorité du temps, en course à pied, on veut que ce soit relaxe. C’est même 90 % du temps qu’une course devrait être plutôt facile. Tous les outils offerts aux coureurs peuvent potentiellement finir par créer de l’anxiété chez eux en plus de les éloigner de tout ce qui est simplement ce qu’ils ressentent. »