Dans les bois en toute sécurité

  • Jean-Sébastien Chartier Plante

Les amateurs de trail savent que courir dans la forêt comporte son lot de dangers. On peut trébucher sur une racine, glisser sur une roche humide, rencontrer un ours ou connaître un épuisement total loin de tout secours. Comment apprécier le trail en toute sécurité ?

Je n’avais pas prévu, en prenant part à une petite compétition de trail de la région de Québec, devoir participer à une opération d’évacuation. La journée était magnifique, le parcours, comme je les aime : très technique, sinueux, comptant de grosses roches à gravir et où il est difficile d’avancer. Soudain, à quelques mètres devant moi retentit un hurlement de douleur.

La coureuse qui me précède, Katherin Duchesne, est affalée au sol ; elle pleure et crie en se tenant la jambe. « Je n’ai jamais eu mal de même ! » se souvient-elle un an et demi plus tard. Katherin, qui en était à sa toute première compétition de trail, venait de se casser la jambe en glissant sur une souche mouillée. Le crac sonore qu’elle a entendu la hante encore.

Je suis le premier à lui venir en aide, suivi rapidement par plusieurs participants. Nous la calmons, détournons le flot des coureurs et entamons la logistique du sauvetage. Il faudra plus d’une heure et demie à notre groupe de six ou sept personnes pour la sortir du bois en la portant, puisqu’aucun véhicule ne peut pénétrer au cœur de la forêt.

« J’étais excitée et j’étais contente d’être là, se remémore Katherin. Je me suis laissé emporter par l’ambiance et le beau temps, et j’ai couru beaucoup plus vite que ce que j’aurais dû faire, parce que je n’étais pas du tout habituée à ce genre de sentier. »

Première erreur. Le trail est une discipline sportive en soi, fort différente de la course sur route. Apprendre à scanner le sentier et développer son aisance sur tous les types de terrains, qu’ils soient secs ou boueux, est impératif. En bref : il faut s’entraîner énormément, et sur des terrains variés. Le trail ne s’improvise pas.

Une armée de premiers répondants sur les parcours

Katherin a eu la chance que Jean Fortier fasse partie du groupe de coureurs qui lui a prêté main-forte. L’organisateur du Québec Mega Trail et du Trans Vallée est spécialisé en intervention d’urgence, autant sur ses propres rencontres sportives qu’à titre de contractuel sur d’autres courses québécoises ou encore en tant que patrouilleur de ski à Mont-Sainte-Anne. Il courait cette journée-là comme simple participant.

Les ressources déployées par les organisations de trail sont nombreuses, explique-t-il : des outils d’évacuation, des défibrillateurs, de l’oxygène, des produits pour contrer les réactions allergiques, des pansements et bandes médicales de tous les types et toutes les tailles et tutti quanti sont disposés sur le parcours et à l’arrivée. Mais surtout, « il faut une équipe de premiers soins suffisamment importante constituée de personnes compétentes, certifiées et en forme ! » énumère Jean Fortier. Il est essentiel d’avoir un excellent système de communication ainsi que des véhicules tout terrain pour monter les montagnes et passer dans les sentiers praticables. La sécurité est un poste budgétaire considérable, rappelle-t-il. Pas étonnant que les dossards en trail soient un tantinet chers !

Sur les plus longues distances, les organisations exigent des coureurs une certaine expérience. Pour les ultras du Québec Mega Trail, par exemple, les concurrents ont à accumuler en quantité suffisante des « points » acquis sur d’autres compétitions.

Enfin, un système de barrières horaires est mis en place dans le but de couper de la course les coureurs les plus lents. « Si 3 % de participants sont derrière et 97 % devant, ça n’a pas de bon sens de laisser les équipes de sécurité sur place aussi longtemps », établit Jean Fortier. « Nous ne savons même pas si les gens seront capables de finir, et dans quel état. »

Hors compétition : attention !

Un coureur qui se blesse sur une épreuve de trail a de bonnes chances d’être pris en charge rapidement étant donné toute la logistique assurée par les organisations. Qu’en est-il du sportif qui part pour une longue sortie dans la forêt derrière chez lui ?

William Walcker aurait aimé démontrer un peu plus de sagesse en décembre dernier, lorsqu’il s’est mis en route pour une boucle de 30 km dans l’arrière-pays lanaudois, en compagnie d’un ami.

« Nous avons été vraiment insouciants », reconnaît-il en entrevue, le regard sur le plâtre qui enserre sa jambe droite. Car au plus loin de leur boucle, les deux amis ont chuté sur une plaque de glace dissimulée sous la neige. « Nous descendions à un bon rythme, et nous sommes tombés tous les deux les pieds par en avant. J’ai la cheville qui a vrillé, et le péroné s’est fracturé. Mon ami Jean-Philippe s’est cogné le coccyx et la tête. Il était pas mal sonné », raconte William.

Les deux hommes réalisent alors qu’ils sont dans le pétrin : il fait -10 °C, William peut à peine marcher, ils n’ont pas apporté leur téléphone cellulaire et n’ont pas de vêtements supplémentaires, car ils voulaient courir « léger ». « Nous avons commencé à nous refroidir, nous avions déjà mangé nos barres d’énergie… Nous n’étions vraiment pas bien ! »

Ils ont la chance de croiser un chasseur qui prête son téléphone pour appeler la copine de William, puis un résident qui les invite à se réchauffer chez lui. « Ça aurait pu se terminer très différemment », estime William, mesurant sa chance.

Au moins, il n’était pas seul. C’est l’un des premiers conseils que donne Éric Lévesque, un sportif aguerri qui court dans les monts Chic-Chocs. S’il ne trouve pas un compagnon de course, il demeure dans les sentiers balisés de la Sépaq, à proximité des aires de service. C’est que les montagnes gaspésiennes sont sauvages et présentent des secteurs isolés de même que des sommets élevés où les conditions météo sont souvent changeantes.

Pour être en mesure d’affronter toutes les situations, Éric Lévesque, aussi directeur de course de l’Ultra-Trail des Chic-Chocs, a en tout temps un sifflet, une couverture de survie, un paquet d’allumettes ainsi qu’une gourde avec filtre. « Si j’attrape une journée où la chaleur m’affecte plus que prévu, ce filtre-là me permettra de rester en vie », dit-il. Il trimballe également dans son sac à dos des vêtements additionnels ; s’il fait 25 °C au bas du mont Albert, il arrive fréquemment qu’il en fasse 10 de moins à son faîte, où il vente fort.

La planification, la clé de sa sécurité

Ce sont des recommandations auxquelles ne s’opposerait pas Yannick Sisla, directeur des services de soutien médical chez SiriusMEDx, une entreprise spécialisée en formation, en soutien médical et en service-conseil pour tout ce qui concerne les interventions d’urgence en régions isolées.

Cet expert, coureur de trail à ses heures, insiste sur l’importance d’une planification rigoureuse. « Il faut choisir un itinéraire approprié à sa condition physique et à ses limites », enjoint-il, ajoutant qu’il est primordial de réunir le plus d’information possible sur sa destination de course avant de s’y lancer.

Il égrène la liste du matériel recommandé : carte d’identité, fiche santé comportant les numéros d’urgence si on nous trouve inconscient, couverture de survie, moyen de communication, réserve d’eau et de nourriture dès qu’on dépasse 15 km de course… Et surtout, des vêtements adaptés, notamment de bons souliers de trail dotés de crampons et de semelles plus adhérentes que des chaussures de route. Des lunettes protégeront les yeux des branches.

Il est utile d’emporter un petit « kit de survie minimaliste », précise Yannick Sisla. « Tout rentre dans un Ziploc ! » assure-t-il : diachylon pour les coupures, compresses de gaze pour les saignements, bandes de fixation adhésive souples pour maintenir une plaie fermée et ruban médical pour les entorses.

Savoir reconnaître l’herbe à puce, pour l’éviter, va de soi, tout comme l’inspection de la peau après le retour à la maison pour repérer d’éventuelles tiques, responsables de la transmission de la maladie de Lyme. Par souci d’éloigner les animaux sauvages, en particulier les ours, avoir une clochette accrochée à son sac et faire du bruit en criant sporadiquement peut être sage.

« Tout est une question de planification et d’adaptation au milieu, conclut Yannick Sisla. On part avec ce dont on a besoin pour cette sortie-là afin de vivre une belle expérience. Une fois rentré à la maison, on commencera déjà à penser à la prochaine ! »

Somme toute, l’important est d’agir sur ce qu’on contrôle. Les imprévus surviendront forcément, mais en étant paré à toute éventualité, on minimise les risques. Le trail permet de s’immerger dans la nature et d’en retirer un plaisir et des bienfaits immenses. Gardons simplement en tête que les éléments sont plus forts que nous.

Matériel obligatoire

La liste du matériel obligatoire pour les ultras peut être longue. Les coureurs doivent notamment emporter des vêtements chauds, un sifflet, une couverture de survie, une lampe frontale et des piles de rechange, ainsi qu’un téléphone cellulaire. Un participant qui se blesse doit être en mesure d’attendre les secours pendant plusieurs heures s’il est loin dans le bois, d’où l’importance de pouvoir se garder au chaud. En ultra-trail, on court avec un sac à dos bien plein.

Couverture cellulaire

Si la zone de couverture cellulaire disparaît dans certains secteurs, il y a presque toujours un accès au réseau au sommet des montagnes, note Éric Lévesque. En cas de pépin, il faudra fournir l’effort de monter pour obtenir la communication.

Vincent Champagne est rédacteur en chef de Distances+.