Dans les coulisses des marathons

  • Canada Running Series - Alan Brookes

C’est enfin le grand jour ! Après des semaines intensives d’entrainement, le moment de votre compétition tant attendue est arrivé. Dans cet instant de frénésie, tout autour de cette course semble opérer comme par magie. Pourtant, depuis de longs mois, des équipes dévouées besognent dans l’ombre en vue de s’assurer que tout sera parfaitement rodé.

Bien que les villes où se déroulent les courses soient différentes par leur taille, leur démographie et leur topographie, quelques liens communs les unissent cependant : toutes sont à la fois habitées par des citoyens qui ne veulent pas voir leur quotidien trop chamboulé par une course dans leur quartier, et fonctionnelles grâce à des services essentiels mis à contribution pour la tenue de grandes rencontres sportives.

Il importe de parvenir au meilleur compromis possible entre le plaisir des coureurs, les bonnes intentions des organisateurs, le confort des citoyens et les contraintes relatives aux services publics. Facile à dire, mais tout ça ne se fait pas en criant lapin de cadence ! « Nous ne pouvons pas simplement nous dire : voilà de belles attractions, courons autour et fermons la ville au complet ! Le concept demeure de faire explorer la ville et de la mettre en valeur, mais dans les meilleures conditions pour tout le monde », lance Charlotte Brookes, directrice nationale des événements de Canada Running Series, dont le TCS Toronto Waterfront Marathon.

Nombreux partenaires consultés

Avant d’en arriver à la version définitive d’un parcours de marathon, la fameuse to-do list déborde. À cette étape, les questions fusent de partout. Quels sont les chantiers prévus au moment de la course ? Comment limiter les enclaves citoyennes ? Quelle portion du trajet passant près d’une caserne pose problème au service incendie ? Quelles sont les autorisations à obtenir des paliers municipal, provincial ou fédéral ? À quel point le réseau de transport public est-il affecté ?

Au Marathon international d’Ottawa, qui aimante de 30 000 à 48 000 coureurs bon an mal an, un comité d’une quarantaine d’intervenants, formé huit mois avant la compétition, s’attaque à toutes ces questions. « La taille de ce comité est impressionnante : en sont membres l’équipe des événements à la Ville d’Ottawa, les services incendie, policiers et ambulanciers, le transport public, les travaux publics et divers autres partenaires. Nous parlons de tout ce qui peut avoir des répercussions sur le trajet. Il faut aussi impliquer les mêmes services du côté québécois, à Gatineau. Chacun indique quelques détails à corriger et on nous renvoie faire nos devoirs. Habituellement, nous revoyons nos plans deux ou trois fois », souligne Ian Fraser, directeur général de la société organisatrice Courez Ottawa.

« Il est rare qu’un événement crée un consensus entre 40 personnes qui défendent chacune des intérêts parfois opposés, mais qui toutes poussent dans le même sens pour la ville », ajoute celui qui chapeaute le plus gros événement de course à pied au pays. Concernant la compétition qui se tenait le 29 mai, le parcours final a été approuvé seulement le 18 mars. Comme quoi le casse-tête perdure souvent à un stade tardif des préparatifs.

Kilomètre par kilomètre

Dessiner le parcours d’un marathon qui a lieu depuis plusieurs années n’est déjà pas de tout repos ; la commande s’avère encore plus colossale lorsqu’il s’agit d’une nouvelle course, ou d’une nouvelle mouture comme ça a été le cas du Marathon de Québec en 2018. Connu pendant 20 ans en tant que Marathon des Deux-Rives reliant Lévis à Québec, la compétition a changé de saveur en devenant 100 % Québec. L’itinéraire entièrement remodelé a nécessité de nombreux mois de labeur. « Les années d’avant, la course démarrait à Lévis et se terminait dans le port de Québec, avec une incidence minimale sur la ville et les citoyens. Lors de la première édition 100 % Québec, quand nous avons statué sur un parcours, ça a été un an de préparation, kilomètre par kilomètre, pour élaborer le plan de circulation et les avis aux résidents », raconte Alexandra Moisan, directrice de production chez Gestev, qui organise les courses du circuit Je Cours Qc, dont fait partie le Marathon Beneva de Québec.

Le pire est que des modifications s’imposent déjà en vue de l’épreuve du 2 octobre, puisque les travaux préparatoires à l’implantation du futur tramway sont en cours sur certaines portions du parcours habituel. « Nous ne réinventons pas complètement la roue, mais il y a de gros changements. Nous sommes partis d’une dizaine d’idées de parcours du 42,2 km avant d’en peaufiner trois ou quatre versions que nous avons présentées à la Ville afin de recevoir les commentaires des autorités », explique Alexandra Moisan.

L’apport des bénévoles

Même quand toutes les approbations imaginables ont été obtenues, le boulot est loin d’être terminé. La plupart du temps, même les plus grands événements de course à pied sont portés à bout de bras par de petites équipes. Par exemple, à Ottawa, seulement six employés à temps plein sont de la partie.

Le secret pour assurer un déroulement efficace des courses réside dans l’implication essentielle des bénévoles. Encore là, recruter des milliers d’entre eux pour chaque course tient du miracle. Que ce soit par le bon vieux bouche-à-oreille, par une inscription en ligne, par des approches menées auprès d’écoles, d’organismes de charité ou de clubs de coureurs, atteindre les cibles établies exige de longs mois. « À Québec, nous gérons 2000 quarts de travail de bénévoles durant le week-end », signale Alexandra Moisan. Le parcours du marathon est divisé en zones ; chaque zone, placée sous la supervision d’un employé, est séparée en secteurs requérant la présence de 10 à 30 bénévoles chacun.

À Ottawa et à Toronto, la titanesque quête de quelque 3000 bénévoles pour chaque marathon débute pas moins de six mois avant le jour J. Ces bons samaritains reçoivent ensuite des assignations précises, histoire d’assurer que la course se déroule sans anicroche. Voilà beaucoup de monde à gérer !

C’est sans compter l’implication déterminante de maints autres intervenants, même dans des rencontres sportives de moindre envergure. La Course des pompiers de Laval, qui en était à sa 11e présentation le 5 juin dernier, en est un exemple probant. « Il nous faut des vigies de qualité. Nous faisons appel à l’école de pompiers, l’IPIQ (Institut de protection contre les incendies du Québec), ainsi qu’aux étudiants policiers du Collège Montmorency, par exemple. On compte près de 60 pompiers et premiers répondants en devoir. Le Centre de médecine sportive de Laval contribue avec un peu moins de 80 intervenants. Nous avons la capacité d’intervenir rapidement en situation d’urgence. Il faut que les imbroglios qui surviennent sur le parcours restent petits, que les gens présents sur le parcours ne s’en rendent pas compte », mentionne Richard Carpentier, capitaine aux opérations au service incendie de Laval et directeur de la course.

N’empêche que même une organisation bien préparée ne se trouve jamais à l’abri d’un chambardement de dernière minute. « Ça nous est arrivé avec la crue des eaux. Notre parcours était homologué, mais certains secteurs étaient devenus impraticables. Nous avons dû, en collaboration avec le service d’ingénierie, vite élaborer une stratégie : les fermetures de rue, le mesurage pour évaluer toutes les options afin que les gens puissent continuer d’avoir la possibilité de se qualifier pour Boston dans un parcours certifié. Nous devons pouvoir déployer rapidement des effectifs », poursuit Richard Carpentier.

Le jour J

Même quand tous les petits et gros soucis des organisateurs semblent derrière, il y a encore du pain sur la planche. Pendant que, la nuit précédant leur course, les coureurs tentent de trouver le sommeil, une légion de petites fourmis grouille sur le terrain en vue de s’assurer que tout sera impeccable au moment où sera tiré le coup de départ.

« Le jour de l’événement, c’est une course contre la montre jusqu’au départ », sourit Alexandra Moisan, en référence au Marathon de Québec. Vers minuit, l’équipe entame l’installation des bornes kilométriques. Trois heures plus tard, elle entreprend la tournée du parcours en même temps que les travaux publics et les services policiers. Vers 4 h 30, un passage au centre de coordination est incontournable afin de régler les derniers détails et peu à peu, les instructions finales sont prodiguées aux bénévoles.

Tout organisateur aguerri sait pertinemment que lorsqu’est donné le coup d’envoi, l’imprévisibilité devient la norme. Au Marathon de Toronto, il y a quelques années, même l’État islamique s’est mis de la partie en faisant sa propagande via les médias sociaux, puisque le hashtag du marathon était en vogue et que l’organisation djihadiste l’a utilisé à ces fins. « Il a fallu que les forces de l’ordre s’en mêlent. Quand un coureur se présente à la ligne de départ, il ne peut pas se douter le moindrement de ce qui se déroule à l’arrière-scène », s’exclame Charlotte Brookes, qui a vécu tout cela dans le cadre de l’événement phare de course à pied dans la métropole canadienne.

Après tant de contraintes, de questionnements et d’ajustements, la course bat finalement son plein. Les coureurs peuvent se concentrer sur le dépassement de soi tandis que le reste est minutieusement pris en charge. La synergie des efforts des athlètes et de ceux des organisateurs ne peut qu’être jubilatoire. « Il suffit de passer cinq minutes à la ligne d’arrivée pour voir la fierté des coureurs. Ça donne des frissons. C’est pour ça que nous faisons tout ça », résume parfaitement Alexandra Moisan.

Le nouveau casse-tête

Par le passé, les organisateurs pouvaient prévoir de manière plutôt précise leurs commandes de chandails, de médailles ou de nourriture nécessaire aux ravitaillements et à la collation d’après-course. Les organisateurs interrogés mentionnent tous que les chiffres des années précédentes fournissaient un indicateur fiable au moment de procéder aux commandes, bien des mois avant la date à laquelle a lieu la rencontre sportive.

Or voilà encore un aspect que la COVID-19 a chamboulé. Les deux dernières années de valse-hésitation ont largement compliqué la donne. Le nombre de participants sera-t-il limité ? Une nouvelle vague de cas nous replongera-t-elle au cœur de mesures sanitaires strictes ? Maintes questions avec lesquelles il a fallu apprendre à jongler.

« À la mi-décembre, nous avons effectué nos commandes de médailles. Nous avons dû prédire que nous atteindrions le cap des 30 000 participants même si nous n’avions encore que 15 000 coureurs inscrits », souffle Ian Fraser, du marathon d’Ottawa. « Nous avons vu à un certain moment avant notre événement que des villes en Chine redevenaient complètement fermées à cause de la COVID ; nous avons paniqué un peu parce que c’est là que nos médailles étaient fabriquées. Aussi, quand le transport se fait par bateau, y aura-t-il un port canadien en grève ? De nombreux facteurs sont à considérer », poursuit-il.

Le constat est similaire de la part de Charlotte Brookes, du TCS Toronto Waterfront Marathon. « Avant la COVID, il n’y avait plus vraiment de surprise. Il nous arrivait de passer les commandes avant même que les inscriptions soient ouvertes. Maintenant, c’est devenu un défi. Nous devons prendre des décisions rapidement parce que tout est retardé dans la conception et que nous n’avons aucune idée du nombre d’inscriptions à venir en raison de la COVID. Il est difficile de déterminer le chiffre magique, et nous nous sommes retrouvés avec trop de médailles et de chandails », déplore-t-elle.