Depuis que je cours…

Sophie Gamache enseigne le français au secondaire au Collège de Lévis et est folle de la course à pied. Dans chaque numéro de KMag, elle partage avec humour ses réflexions de coureuse.

Depuis que je cours… j’ai rencontré le diable.

J’aime la compétition. En fait, j’aime les événements de course et j’ai une fâcheuse tendance à dépenser pour des dossards, mais je ne suis pas compétitive.

J’ai eu tellement souvent l’occasion, dans ma vie de coureuse, de comparer mon niveau de compétitivité avec celui d’autres sportifs que j’en suis venue à la conclusion que je ne souffrais pas de cette « maladie ». Si d’aucuns se fâchent, se dévalorisent, se démotivent, se remettent en question après un dur entrainement ou en franchissant une ligne d’arrivée, moi, je m’en fais une raison et je relativise. Même si je ne peux m’empêcher d’accélérer un peu (parfois plus qu’un peu) dès que quelqu’un me dépasse, je ne rivalise pas vraiment contre les autres. Et comme j’aspire à m’améliorer, à battre mes propres temps, je me challenge moi-même, et c’est tout.

Bon. Ceci est (était) mon discours officiel. Ma ligne de parti.

Depuis que j’ai rencontré le diable, j’ai changé.

Plusieurs connaissent déjà Strava, mais pour ceux et celles qui ignoreraient ce qu’est cette application diabolique, je vous prierais d’arrêter de lire ma chronique et de vous efforcer d’oublier ce nom. Je ne voudrais surtout pas que vous me teniez responsable des méfaits et bouleversements que pourrait causer l’arrivée de ce réseau social dans votre vie. Parce que non seulement l’application vous grugera du précieux temps dans votre journée (qui a besoin d’un deuxième Facebook ?), mais elle risque de vous transformer, comme elle l’a fait avec moi, en bête insatiable de compétition, avare de duels, de face-à-face et d’émulation !

Pour dire vrai, depuis que la petite icône orange est installée dans mon téléphone, je ne me reconnais plus. Si au début j’y trouvais un peu de divertissement et d’inspiration – voir les parcours des autres génère assurément des idées de nouveaux trajets –, insidieusement, par le truchement des kudos, des trophées et des segments, la motivation qu’elle me procurait s’est métamorphosée en sournois désir de revanche. Inévitablement, dès que je reçois une notification me narguant à propos de tel inconnu qui a pris mon titre de QOM ou de local legend, je sens quelque chose à l’intérieur de moi s’agiter. C’est ma quiétude qu’on vient secouer, qu’on ébranle.

Ainsi s’affichent quotidiennement devant mes yeux les performances de mes « amis » Strava. Et puisque les miennes sont également exposées au grand jour, affirmer que mon égo est continuellement fragilisé relève de l’euphémisme. « Quand on se compare, on se console ? » Pas ici. Qui plus est, depuis quelque temps, battre mes propres records devient de plus en plus difficile, alors mon amour-propre de coureuse en souffre… Comment assumer toutes les contreperformances qui s’affichent publiquement et que tout un chacun peut commenter ? J’ai pensé écrire à la compagnie : si nous pouvons masquer les lieux de départ et d’arrivée de nos parcours, est-il aussi possible de masquer… disons… ce qu’on veut?

Mieux vaut en rire.
Non ?