Jusqu’où ira Mathieu Blanchard ?
Malgré l’annulation de presque toutes les compétitions de trail auxquelles il devait prendre part l’an dernier, Mathieu Blanchard a vécu sa saison 2020 à fond. Et depuis qu’il occupe un emploi lui permettant le nomadisme, il progresse sans cesse. Rencontre avec un champion devenu éphémère vedette du petit écran, et prêt à montrer encore et encore ce qu’il a dans les jambes.
Mathieu Blanchard lâche un petit rire et roule des yeux. « C’est juste fou, lance-t-il. Ça a vraiment été très gros ! » Sa participation à l’émission française Koh-Lanta lui a valu une notoriété à laquelle il s’attendait un peu, sachant que la télé-réalité de type survivor est écoutée par 6 à 8 millions de personnes en Europe, mais qui n’en finit plus de le surprendre.
« Au-delà de 25 000 messages non répondus traînent dans ma boîte Instagram », révèle le coureur d’ultra-trail, éliminé assez rapidement par un seul concurrent que tous voulaient voir partir mais qui bénéficiait en secret d’une « immunité » alors que Mathieu Blanchard figurait parmi les préférés. Le Franco-Montréalais a aussitôt acquis dans sa mère-patrie une aura de vedette. « On me demande souvent de me prendre en photo avec des gens. Même quand je cours dans la montagne, les randonneurs m’arrêtent ! » dit-il en entrevue depuis la maison paternelle du sud de la France où il a vécu une partie de son année 2020.
Les médias français spécialisés en course à pied ont saisi l’occasion de présenter ce nouveau visage, exilé au Canada depuis 2014, au profil de « champion-que-vous-ne-connaissiez-pas ». Jusqu’au fameux journal L’Équipe qui lui a consacré un bref encart sur le web.
Ici, Mathieu Blanchard se passe plus ou moins de présentation, du moins pour qui suit le monde de la course à pied. L’athlète de 33 ans, ingénieur de formation, s’est depuis cinq saisons imposé sur la scène de l’ultra-trail québécois.
Né en France, ayant grandi en Guadeloupe où ses parents dirigeaient une école de plongée sous-marine, il s’est adonné à du « sport d’adrénaline » toute sa jeunesse, comme le snowboard, le BMX et le kitesurf. Intime avec les grandes eaux, il a pratiqué la plongée mais n’était pas fan de course à pied. Après ses études à Grenoble et un passage à Paris où il a mené une vie de fêtard, il débarque à Montréal avec l’envie d’« assainir » sa vie. Pour rester actif, il court un peu, et se fait prendre au jeu. « La course a changé ma vie », considère Mathieu Blanchard, non seulement parce qu’elle lui a donné une famille d’amis et un rôle dans la communauté, mais parce que son existence a pris une nouvelle trajectoire.
Dès 2016, en total inconnu, il gagne le 80 km de l’Ultra-Trail Harricana, prélude à une longue suite de victoires toujours plus convaincantes. Il court comme un boulimique et remporte presque tout sur la scène québécoise. Il voyage et s’empare des premières places en Martinique, en Guadeloupe, au Guatemala tout en décrochant une exceptionnelle 13e position à la « grande » course du légendaire Ultra-Trail du Mont-Blanc en 2018 (170 km et 10 000 m de dénivelé positif) et une 10e place sur la « petite » course CCC du même événement l’année d’après (100 km et 6100 m de dénivelé positif).
À la fin de 2019, il est un prétendant sérieux à la Diagonale des fous, à la Réunion. Cinq jours avant le départ de la course, alors qu’il est déjà sur place, il reçoit un coup de fil des producteurs de Koh-Lanta. Dans l’obligation de partir immédiatement en vue de participer au tournage aux îles Fidji et l’information devant demeurer top secrète, Mathieu Blanchard annonce son désistement sans explication, médusant ses admirateurs. Ceux-ci ont dû patienter un an avant de comprendre ce qui s’était passé.
L’année Covid-19
L’année 2020 aurait pu être celle de l’explosion sur la scène internationale, Mathieu Blanchard s’étant construit un plan de compétition serré le menant partout sur la planète dans les grandes courses de l’Ultra-Trail World Tour. Après avoir conquis une seconde place en Nouvelle-Zélande en février, tout a été annulé en raison de la pandémie de Covid-19. « J’ai été déçu deux jours, admet-il, mais je me suis mis à penser à des projets d’aventures, et j’ai retrouvé une motivation encore plus forte. »
Il n’allait certainement pas laisser passer toute une saison sans tester ses limites. Il met sur papier des défis propres à lui offrir la possibilité de travailler différentes variables. Ce sera d’abord le tour complet de l’île de Montréal en course sur route – une discipline fort différente du trail – qu’il effectue en avril (en 10 h 29), afin d’améliorer l’endurance. Puis, à la fin de mai, il joue sur le dénivelé en grimpant et descendant une côte très à pic du mont Royal durant 15 h 45 afin de cumuler 10 000 m de dénivelé positif. Il fait ensuite un Ironman en solo à Mont-Tremblant, question d’alterner le type d’effort avec le vélo et la natation. Enfin, c’est la grande aventure : la traversée du Sentier international des Appalaches en Gaspésie, le GR A1, qu’il réussira en août en 7 jours, 12 heures et 2 minutes, établissant la nouvelle marque du temps le plus rapide à battre sur ce sentier de 650 km et 25 000 m de dénivelé positif.
D’autres aventures
L’accomplissement de ces défis a fait bouger l’aiguille de la motivation de Mathieu Blanchard. « Je ne me suis jamais levé aussi tôt, et pendant aussi longtemps, c’est-à-dire plusieurs mois d’affilée », constate-t-il, avouant sa surprise d’avoir autant aimé sa « grande aventure ».
« Le GR A1 m’a vraiment ouvert les yeux. J’ai adoré », dit-il, même si, certains matins, il doutait d’être capable de repartir sur ses pieds tant il était brisé par l’effort.
Dans ces défis hors-normes, il y a la nature et le dépassement de soi, certes, mais également l’esprit d’équipe. Car pour Mathieu Blanchard, la course, un sport individuel, n’a jamais été une affaire de solitude. Quatre personnes l’accompagnaient en Gaspésie. « On ne s’en rend pas compte, mais pour la préparation, ça prend plusieurs personnes, et ce sont des mois de travail. Pour le défi des Appalaches, on a fait des vraies réunions, on avait des fichiers Excel, des cartes partout… »
De telles aventures, il désire maintenant en faire davantage. « C’est une décision importante pour un athlète, parce que ça veut dire, potentiellement, de participer à beaucoup moins de courses », signale-t-il.
Ainsi, même si la situation sanitaire l’autorise, il sait déjà qu’en 2021 il ne reproduira pas son calendrier fou qui était prévu pour 2020. Il va se concentrer sur trois grandes compétitions internationales, dont une nouvelle participation à la mythique UTMB de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, la plus prestigieuse course de trail au monde.
« Je vise un podium, déclare-t-il. Je ne vais pas à mon prochain UTMB pour être 15e. Je vais prendre des risques ; si ça marche, tant mieux, si ça ne marche pas, tant pis. La stratégie de course sera complètement différente, parce qu’il faut partir dans le groupe de tête. » Voilà qui tombe bien : Mathieu Blanchard a toujours préféré prendre les devants tout de suite et imposer son rythme à la course.
Un boulot adapté
Malgré sa ferme assurance, est-il réellement du niveau des meilleurs coureurs internationaux ? « Ils ne me font pas peur, répond-il du tac au tac. Il se trouve que je progresse continuellement en dépit du fait que je vieillis. C’est concret : les sensations à l’entrainement sont toujours meilleures, et mes temps sur mes segments s’améliorent. Et cela est directement lié à mon nouvel emploi. » En 2019, il a quitté le bureau d’ingénieurs montréalais où il travaillait de 9 à 5 et a rejoint l’équipe de La Clinique Du Coureur à titre de directeur du développement international. Même avant la pandémie, le boulot se faisait en télétravail, de n’importe où sur la planète, et sans horaire. « Je peux travailler de minuit à 2 h du matin et ne pas travailler de 9 h à 11 h. Faire quelques heures le dimanche et pas le lundi. Bosser quand je suis à Chamonix entre deux entrainements, ou à Tahiti à l’occasion d’une course. Je bâtis mon programme d’entrainement comme je le souhaite. Organiser mon emploi du temps ainsi a tout changé, et ça a vraiment « boosté » ma progression dans le sport. » Son employeur lui octroie même un budget pour vadrouiller sur la planète de course en course !
C’est un boulot que Mathieu Blanchard aime et qu’il n’entend pas quitter pour devenir un sportif professionnel à temps plein. Car dans sa sagesse, il cherche un équilibre. Il observe les grands athlètes, de toutes les disciplines, qui traversent des temps durs lorsqu’ils se blessent, vieillissent ou dépriment en période de pandémie : « Le monde de la course en sentier est un milieu précaire. S’il arrive quelque chose, on est dans le trouble. Il faut être solide pour ne pas sombrer dans des épisodes dépressifs. »
Mathieu Blanchard a d’ailleurs eu une petite frousse au cours de l’été 2020 quand il a attrapé la Covid-19. « Ma réaction physique a été très violente. J’ai été alité trois jours. Ensuite, le moindre effort physique était douloureux dans les articulations. J’étais vite essoufflé », raconte-t-il. Il a même totalement perdu l’odorat et le goût pendant un certain temps, et mis quinze jours à se remettre sur pied.
L’envie de transmettre
Alors, jusqu’où ira Mathieu Blanchard ? L’expérience s’accumulant, il commence à avoir envie de partager son cheminement et ses réflexions. Qu’il s’agisse d’un livre, de films ou de conférences, l’athlète sent le besoin de communiquer ce qu’il apprend à travers la vie sportive. « Le livre que je voudrais écrire serait une prise de recul sur les enseignements à tirer de la course en sentier. La course illustre bien mes idées sur l’état de notre société », annonce-t-il, laissant planer une réflexion philosophique sur l’hyperconnexion, les médias sociaux, la santé mentale et l’environnement.
Mathieu Blanchard ne sait pas trop où il va vivre dans les prochains temps. Montréal ne lui convient plus trop : pas de montagnes, trop de béton. Il pense s’acheter une maison en région. Ou en Colombie-Britannique. Il devait obtenir sa citoyenneté canadienne en 2020, cependant cela a été repoussé en raison de la pandémie. Il a hâte de courir sous le drapeau de sa patrie d’adoption.
Vincent Champagne est co-rédacteur en chef de Distances+.