La course vers la chaussure carboneutre
Affichant un lourd bilan carbone et source d’une grande quantité de déchets, les chaussures de course sont un gros problème écologique. Avec beaucoup de retard, les équipementiers l’ont finalement compris et se lancent maintenant dans une course pour concevoir les souliers les plus climato-sympathiques. Qui montera sur le podium ?
Aujourd’hui, nous sommes à l’ère des abonnements. Nous sommes abonnés à des services de musique en ligne, à des plateformes de diffusion numérique, à des services de téléphonie cellulaire, à des logiciels, à des applications, etc. Prochaine étape : l’abonnement à un service de chaussures de course.
C’est la proposition de l’équipementier On, qui lance cet été la Cloudneo, une chaussure révolutionnaire. Sa particularité : elle ne sera jamais vendue. Pour les chausser, les coureurs devront ouvrir un compte Cyclon et payer des frais mensuels de 35 $ par mois. Ils recevront ensuite une paire de chaussures échangeable tous les six mois. À la réception de la nouvelle paire, l’abonné joggera jusqu’au bureau de poste afin de renvoyer l’ancienne à son pourvoyeur. Celui-ci se chargera de la réincarner. Selon l’équipementier helvète, ce modèle basé sur la récupération est la seule manière de soumettre ses galoches à une vraie diète carbone.
Avec la formule « récupération après usage », on pourrait assister à la fin du modèle de consommation « achat, utilisation, poubelle ». Car il n’y a pas que On qui veut récupérer vos vieilles chaussures. Le poids lourd dans l’industrie de la course, Salomon, a mis sur le marché en 2021 une paire de chaussures totalement recyclable, l’Index.01, jumelée à un programme de retour des chaussures. Hylo Athletics, jeune pousse anglaise, évolue dans la même direction en accordant un rabais aux coureurs qui lui redonnent leurs chaussures usées.
Ces initiatives visent à réduire l’empreinte carbone de la course à pied. Car si ce sport bonifie les capacités respiratoires des coureurs, il étouffe la planète à chaque pas. Selon une étude du Massachusetts Institute of Technology datant de 2010, chaque paire émet, pendant son cycle de vie (c’est-à-dire de l’extraction des matières premières jusqu’à la mise au rebut de la chaussure en passant par son utilisation) 14 kg équivalent de CO2 – l’équivalent d’une ampoule incandescente de 100 W allumée pendant une semaine.
L’un des gros handicaps des chaussures de course, c’est l’impossibilité de les recycler. La raison : des dizaines de matériaux, essentiellement des plastiques, entrent dans leur confection. Ceux-ci sont solidement collés ou fusionnés. Impossible de les séparer en vue de les récupérer, ce qui entraine l’accumulation des souliers dans les décharges après quelques mois de service.
La large part de l’empreinte carbone dans les chaussures provient de l’extraction des matières premières, de leur transformation et des processus manufacturiers. La finition, le transport et leur utilisation suivent ensuite, selon un rapport de On running. Ce qui alourdit le bilan carbone des chaussures, c’est leur lieu de production en Asie, où le charbon, pire ennemi du climat, alimente les usines de transformation et de production.
L’entreprise On estime, dans son rapport sur son impact, que 99 % de ses émissions de carbone proviennent de sa chaîne d’approvisionnement – des émissions qui ne sont pas directement émises par On mais par les usines qui fabriquent les matières premières et les chaussures.
REVOIR DE A À Z
Afin de diminuer l’intensité carbonique, il faut revoir le processus de fabrication en travaillant avec les fournisseurs et sur les sources d’énergie qui les alimentent. C’est ce qu’a fait On avec la chaussure Cloudneo, dont la composition ne ressemble en rien à celle des chaussures actuelles.
L’entièreté de sa tige, ses lacets et ses œillets thermopressés sont conçus en matière biosourcée, le polyamide 11, provenant de graines de ricin, dont la culture absorbe du carbone au même titre que des arbres. Le « nylon français », comme on le désigne également en raison de sa mise au point en France, se recycle encore et encore sans que soit compromise sa qualité.
Quant à la semelle, elle est faite de Pebax, une matière très similaire au polyamide 11 qui se recycle avec lui sans qu’on ait à les séparer. À la fin de leur vie utile, les Cloudneo sont broyées en copeaux puis renaissent en nouvelles chaussures, selon les principes de l’économie circulaire. Résultat : de la production au premier cycle de recyclage, la Cloudneo émet 50 % de CO2 en moins qu’une chaussure traditionnelle.
Salomon a quant à elle complètement revu sa production, afin de sortir en 2021 la Index.01, dont le recyclage a guidé la conception. La semelle est faite d’un polyuréthanne thermoplastique (TPU) injecté d’azote appelé Infiniride. La tige utilise du polyester recyclé. Le fil qui attache la semelle à la tige est aussi en polyester. En fin de vie, l’Index.01 se défait en morceaux qui seront broyés et recyclés. Les consommateurs qui achètent une paire d’Index.01 reçoivent un coupon de retour. À la fin de vie, ils envoient la paire chez un recycleur. « La semelle se retrouvera dans les bottes de ski en Europe et la tige redeviendra du textile », indique Olivier Mouzin, responsable du développement durable chez Salomon.
La recyclabilité des chaussures réduit les besoins en matière d’extraction et de transformation des matériaux, qui constituent les étapes les plus émettrices de gaz à effet de serre. Cependant, le diable se cache dans les détails. Si la vieille paire qui retourne à l’équipementier fait plusieurs fois le tour du monde en avion pour sa réincarnation, le bilan carbone risque d’exploser. Pour cette raison, Salomon décentralise les réceptions des paires usées. Par exemple, les souliers vendus au Canada sont recyclés au Canada, et leurs matières intègrent les filières locales.
« L’empreinte carbone de l’Index.01 est estimée à 8,6 kg équivalent de CO2 si elle n’est pas recyclée. En la recyclant, elle tombe à 6,5 kg équivalent de CO2 », détaille Olivier Mouzin. Ce bilan s’améliorera avec la sortie au printemps 2023 de l’Index.02, plus performante sur les plans de son empreinte carbone et de la course à pied.
La palme de la chaussure à plus faible impact carbone serait le modèle Futurecraft Footprint, en vente depuis le printemps 2022 à l’échelle mondiale, qui est le fruit d’une collaboration entre le géant allemand Adidas et la Californienne Allbirds, précurseure en chaussures écolos. Ce modèle se targue d’une empreinte carbone 2,94 kg équivalent CO2, soit 63 % de moins qu’une chaussure comparable d’Adidas.
Les ingrédients pour parvenir à ce bon résultat : la semelle intercalaire est faite en partie de canne à sucre. L’empeigne est constituée à 77% de polyester recyclé et 23% de Tencel (un textile provenant de la pulpe de bois). La semelle d’accroche contient 10% de caoutchouc recyclé. Les chaussures sont emballées dans des boîtes de forme conique, ce qui permet de les imbriquer, diminuant ainsi l’espace nécessaire à leur transport.
Toutefois, depuis l’été 2021, l’Américaine Brooks prétend qu’elle a déjà sur le marché une chaussure carboneutre, la Ghost 14, une paire qui émet 10,35 kg équivalent de CO2. Cela est loin d’un podium, mais Brooks promet, en attendant d’améliorer ce bilan, de compenser les émissions de carbone produites pour sa fabrication en finançant des projets d’énergie renouvelable et de plantation d’arbres.
Bref, la course à la chaussure carboneutre est bien lancée. Une seule paire carboneutre d’un manufacturier ne compensera pas l’entière production de modèles néfastes pour la planète, mais les compagnies assurent que les innovations vertes percoleront vers la totalité de la production. « Nous souhaitons étendre l’approche de la récupération des chaussures à l’ensemble de nos produits », note Olivier Mouzin, de Salomon.
Le marché de la chaussure commence sa transition. Reste à savoir à quel rythme cela ira et si les consommateurs embarqueront dans le train, ce qui n’est pas gagné d’avance. Salomon admet que le taux de récupération de son Index.01 n’est actuellement que de 20 %. Améliorer le bilan environnemental de la course exigera que tout le monde fasse sa part.