La virgule

  • Elisabeth Anctil-Martin

Dans chaque numéro de KMag, la rédactrice en chef Marianne Pelchat signe un texte éditorial. Certains se veulent des tranches de vie, d’autres des états d’âme. Dans le numéro d’hiver, elle lance une invitation chaleureuse.

Courir la longue sortie du week-end, s’entraîner en intervalles, faire des tours de piste ou fouler à toute vitesse les sentiers, autant de façons de cumuler du kilométrage. Pour certains, il s’agit d’un geste intuitif et variable, tandis que pour d’autres, c’est une science des plus exactes : ils doivent impérativement arrondir leur distance au chiffre rond.

Peut-être aurez-vous en tête l’image d’un camarade de course tournant en rond dans le stationnement dans le but de voir apparaître 17 au lieu de 16,8 km sur sa montre (ou peut-être vous reconnaîtrez-vous) ? Certes rigolo à observer, mais ô combien important aux yeux de celui qui s’exécute ! L’atteinte du nombre entier – sans virgule – est une douce obsession. Inutile de faire entendre raison à cette personne, elle est en mission, celle du chiffre rond. Cela dénote son engagement exemplaire, sa détermination ferme et sa soif insatiable de précision.

À contrario, la virgule, elle, paraît comme un signe de brouillon, d’inexactitude, quasi de paresse. Faire 16,3 km n’est pas « beau » sur sa montre, ou pire encore sur Strava. Tous les followers se questionneront sur ce qui a pu arriver à cet individu pour ainsi s’arrêter en si bon élan ! Voilà quelqu’un qui n’est pas sérieux dans son entrainement, on le voit bien.

Quand on y pense, deux des épreuves les plus courues au monde – le marathon et le demi-marathon – sont affublées d’une virgule. Quelle vision horrible ! Sacrilège ! Que font les apôtres du chiffre rond ? Quelle profonde déception ce doit être de parcourir une si incomplète distance !

Pourtant, à moi la virgule apparaît belle, voire mélodieuse, comme une double croche sur une partition de musique : quatorze virgule sept kilomètres. Ne trouvez-vous pas que c’est joyeux, que ça fait rire ? C’est signe qu’on ne se prend pas au sérieux, qu’on aime les choses laissées en suspens… afin de mieux y revenir. La virgule révèle une appréciation simple et pure du fait de courir, point.

Pour le bonheur du geste, le plaisir du sport, pas pour la distance ni pour les chiffres. Je vous invite chaleureusement à adhérer au nombre avec virgule !

Marianne Pelchat est rédactrice en chef du magazine KMag.