Leçon de courtoisie

  • Collection personnelle

Dans chaque numéro de KMag, Charles Philibert-Thiboutot, olympien et spécialiste du 1500m, nous partage sa vie d’athlète élite. Voici son point de vue sur la course au temps de la Covid-19.

Il semble n’y avoir personne sur Terre qui n’ait été affecté par la Covid-19, surtout au printemps. Heureusement pour les coureurs, la course à pied est restée une des activités permises au moment le plus fort du confinement. Cependant, la piste d’athlétisme du PEPS de l’Université Laval, à Québec, était fermée. En modifiant ma planification d’entrainement afin d’effectuer mes séances sur les routes, j’ai réalisé à quel point la piste est une zone de sécurité.

La piste est réellement le seul endroit où une sélection naturelle se fait par rapport à la vitesse d’une personne : sur la piste, les plus rapides, de par leur vitesse, ont le choix du couloir. Cette loi naturelle ne se transpose pas du tout sur les trottoirs ni dans les sentiers, les rues et les parcs de la ville. Les restrictions imposées par la Covid-19 m’ont fait comprendre à quel point ma propre sécurité et celle des autres, pour un sport quand même à risque relativement bas si on le compare au cyclisme, sont loin d’être un acquis quand on n’est pas sur son terrain de prédilection.

J’ai par le passé souvent croisé de petits groupes de marcheurs ou de coureurs pour qui, de façon évidente, le partage d’un trottoir était chose impossible, des gens pour qui marcher quelques pas l’un derrière l’autre dans le but de laisser le passage à un coureur ou à un autre marcheur n’était simplement pas une option, et ce, quelle que soit la vitesse à laquelle approchait le coureur. Qu’est-ce qui mène à un manque aussi flagrant de conscience de son environnement ? Il est difficile de le savoir. Je n’ai évidemment pas la prétention de penser que la vitesse d’un coureur devrait dicter la priorité de passage sur un trottoir. Toutefois, quand des utilisateurs se rencontrent, il est normal que toutes les parties impliquées fassent l’effort d’accommoder l’autre. Au même titre que je tâche de contourner un groupe ou que je me fais petit en vue de dégager la voie, un autre coureur ou marcheur devrait également avoir conscience de son environnement et savoir que ne rien faire pour permettre à une personne qu’on croise de passer, peu importe la vitesse, est un manque total de courtoisie . À courir deux fois par jour en ce moment, je peux dire à quel point cette situation est fréquente. Sans piste, courir à plus de 20 km/h devient un enjeu de sécurité dans de telles conditions. Or, la consigne de distanciation physique en vigueur depuis ce printemps pousse les marcheurs et les coureurs à prêter davantage attention à leur entourage et leur rappelle que, les corridors de marche et de course étant limités, il est bien plus facile de les partager si les usagers agissent de manière bilatérale pour créer de l’espace.

Les circonstances particulières que nous vivons font ressortir une autre situation étonnante, par rapport aux véhicules automobiles, cette fois. Pendant qu’une majorité de piétons s’obligent à se distancier sur les trottoirs, certains automobilistes roulent à bien moins de 2 m des marcheurs et des coureurs qui doivent emprunter la chaussée durant un bref instant afin de respecter la distanciation physique. Jamais je ne me suis fait autant effleurer par des voitures que dans les derniers mois, alors même que les conducteurs avaient toute la latitude nécessaire pour laisser un espace suffisant aux piétons et aux cyclistes sur des rues ou boulevards de surcroît très peu achalandés.

Tandis que cette distanciation physique aura été un défi de taille sur les trottoirs par les belles journées de printemps et d’été, j’espère que ce contexte exceptionnel amènera chacun et chacune à réfléchir à sa conduite et à sa courtoisie dans les lieux publics. Entretemps, j’attends avec impatience le retour sur cette piste où croiser quelqu’un ne se produit jamais.

Charles-Philibert Thiboutot a participé aux JO 2016 (1500 m sur piste).