Mes souliers sont laids
Dans chaque numéro de KMag, Marc Cassivi, chroniqueur pour la Presse+, signe un texte humoristique. Voici celui sur ses chaussures de course !
Ils ont été déposés sur le pas de la porte un matin, comme un nouveau-né abandonné dans son moïse (selon les vieilles légendes). J’ai ouvert le colis. Il n’y avait heureusement pas de bébé. Juste des souliers de course.
C’était la toute première fois que je me laissais convaincre par l’achat en ligne d’espadrilles, à la suggestion d’un ami chasseur d’aubaines, qui trouve des prix imbattables chez les détaillants de chaussures.
Il vient un moment, au mitan de la vie, où les habitudes deviennent quasi immuables. On n’évolue guère plus (les hommes surtout, me chuchote-t-on à l’oreille). C’est vrai pour le style musical comme pour le style vestimentaire.
Certains achètent le même modèle de jeans depuis leurs 20 ans… à deux ou trois tailles près. Pour le confort et la simplicité. On sait que ce vêtement convient, pourquoi se casser la tête à en chercher un autre ?
J’ai depuis plusieurs années jeté mon dévolu sur deux ou trois modèles de souliers de course. J’alterne, selon leur prix, entre eux, question aussi de varier l’emplacement de mes cors aux pieds.
Je me renseigne, notamment dans KMag, sur les avantages et les inconvénients du modèle X, version soi-disant améliorée – selon le fabricant – du modèle précédent, et j’achète en conséquence.
Il y avait justement « ma sorte » sur le site des aubaines, m’a indiqué mon ami. Fantastique. Ce qu’il n’avait pas précisé – j’aurais dû m’en douter –, c’est que toutes les tailles n’étaient pas disponibles. Ou plutôt que pour l’essentiel des modèles vendus à des prix « imbattables », il ne restait que de très petites ou très grandes tailles. Comme je chausse un très banal 10 et demi, le choix était tout sauf vaste.
J’étais bien décidé à acheter. J’endurais depuis plusieurs mois une paire de chaussures défoncées, avec l’habituel trou que je perce sur le dessus au niveau du gros orteil, mais également des cavités dans la mousse du talon. Ces souliers m’avaient rendu de fiers services, mais ils avaient fait leur temps.
J’ai trouvé des chaussures à ma taille. Le hic, c’est qu’il ne s’agissait pas de l’un de mes modèles fétiches… et qu’elles n’étaient disponibles que dans une seule couleur, bizarrement nommée « bleu du futur », entre le bleu poudre et le turquoise. Une horreur. Même selon les critères peu esthétiques du soulier de course.
« Ils sont horriblement laids, mais ils ont l’air très confortables, comme des souliers de basket ! m’a dit Fiston. S’ils étaient noirs, je pourrais presque les porter. » Moi qui mesure un chouïa sous les 6 pieds, j’avais l’impression d’avoir grandi instantanément de quelques pouces grâce à ces semelles compensées.
Ma blonde a eu un fou rire en me voyant ainsi chaussé. « On dirait des talons hauts ! T’es sûr que t’as pas pris la version pour petites personnes ? » m’a-t-elle demandé, en saluant avec ironie ma capacité à être en phase avec mon « côté féminin ».
C’est vrai que mes nouveaux souliers sont laids. Mais j’ai l’impression de courir sur un nuage. C’est tout ce qui compte, non ?
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Marc Cassivi est chroniqueur pour la Presse+.