Tendances en médecine du sport
Pour aider les coureurs à voir clair, quatre experts se sont regroupés pour analyser les tendances émergentes qui ont changé les pratiques de la médecine du sport. Blaise Dubois, pht, Olivier Roy-Baillargeon, Ph. D., Jean-François Esculier, pht Ph. D. et Dr Simon Benoit, M. D., sont des coureurs et des professionnels de la santé et du sport qui pilotent les activités de recherche, de développement et de formation continue de La Clinique Du Coureur.
Chaque nouvelle saison d’entrainement en course à pied s’accompagne invariablement de son lot de petits bobos. Certains disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus, et d’autres persistent, au grand désarroi de qui les subit. Pourquoi ces douleurs et inconforts ? Quelles en sont les causes ? Que faire pour en guérir rapidement ? Quels sont les meilleurs moyens de les prévenir ? Vos interrogations sont aussi nombreuses et diverses que les sources qui proposent des réponses souvent contradictoires. Rassurez-vous : votre thérapeute se questionne également. Depuis qu’il pratique, tout ce qu’il a appris à l’école a été remis en question.
Vers une pratique clinique basée sur des données probantes
Plus la recherche avance, moins les thérapeutes naviguent à vue. Chaque nouvelle question qui les intrigue devient une potentielle étude clinique. Pour identifier telle pathologie, quel est le meilleur test diagnostique ? Pour soigner telle blessure chronique, quelle est la meilleure approche thérapeutique ? Chercher ce que révèle la science leur fournit des réponses abondantes, et les clés d’une pratique appuyées sur des données probantes.
Comme la recherche scientifique, la pratique clinique se fonde sur un ensemble de questions et s’effectue dans une perspective critique. Pourquoi utiliser cette modalité thérapeutique ? Est-elle plus efficace et aussi sécuritaire que de laisser la nature et le temps guérir le corps ?
Baser sa pratique sur des données probantes, c’est opter pour une approche d’éducation physique qui ne vise pas qu’à accélérer la guérison mais également à analyser les mécanismes de blessure et à les prévenir pour la suite. C’est réduire le risque de récidive pour garder le patient physiquement actif et en pleine santé jusqu’à 85 ans, voire davantage. C’est un peu d’enseignement qui offre un rendement imbattable de l’investissement en temps, en argent et en énergie, tant pour le patient que pour son thérapeute.
Recherche et pratique se renforcent par surcroît dans une boucle de rétroaction. La recherche est un formidable outil pour informer la pratique. Réciproquement, l’expérience des thérapeutes accroît la pertinence du travail des chercheurs. Si deux têtes valent mieux qu’une, imaginez combien valent deux millions de têtes de thérapeutes et de chercheurs qui collaborent pour vous traiter le mieux possible !
De l’inflammation qui nuit… à celle qui guérit
Les anti-inflammatoires, comme l’ibuprofène (Motrin, Advil), le diclofénac (Voltaren) et le naproxène (Naprosyn, Aleve), qu’ils soient en prescription et en vente libre, sont généralement utilisés dans le but de diminuer la douleur et, anciennement, d’accélérer la guérison. Or, plus ces molécules sont ingérées à forte dose et de façon prolongée, plus elles inhibent la prolifération cellulaire nécessaire à la régénération et au remodelage des tissus blessés.
En plus de nuire aux adaptations des tissus et d’en accroître la fragilité à moyen terme, ces molécules masquent les douleurs générées et ressenties par notre corps pour nous forcer à cesser temporairement l’activité qui nous a blessé. En somme, les anti-inflammatoires entravent la guérison. En outre, leurs effets secondaires sur la santé, principalement les saignements gastriques, sont considérables. Aux États-Unis seulement, chaque année, 16 000 personnes décèdent et au-delà de 100 000 personnes sont hospitalisées relativement à des problèmes de santé liés à la consommation d’anti-inflammatoires.
Des exercices pour remplacer le bistouri
Vous connaissez sans doute des personnes ayant subi une chirurgie méniscale à la suite d’une blessure sportive. Cependant, la recherche récente montre que la vaste majorité des chirurgies de ménisques sont inappropriées.
Chez les personnes de plus de 40 ans aux ménisques dégénératifs, le constat est sans équivoque : la chirurgie réelle n’est pas supérieure à une chirurgie placebo, et elle est vivement déconseillée. Effectuer des exercices et adopter une approche non-chirurgicale est la marche à suivre : cela est aussi efficace que la chirurgie pour la fonction et la douleur, et supérieur à la chirurgie pour prévenir l’atrophie et maintenir la masse musculaire du quadriceps.
Chez les personnes plus jeunes aux prises avec une lésion méniscale traumatique, on ne dispose d’aucune évidence que la chirurgie est préférable au traitement conservateur. Celle-ci ne procure pas de bénéfices additionnels et s’accompagne de risques plus importants. Elle pourrait même augmenter le risque de développer, à long terme, de l’arthrose du genou. La chirurgie ne devrait donc être pratiquée qu’en dernier recours, en cas d’échec des exercices prescrits et du suivi élaboré assuré par un professionnel spécialisé dans le traitement des blessures musculosquelettiques comme un physiothérapeute.
L’imagerie médicale utilisée avec parcimonie
Les examens paracliniques comme la radiographie (rayons X) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) sont largement utilisés par les professionnels de la santé. Trop. Et quand on cherche, on trouve – beaucoup de choses, dont de nombreuses découvertes fortuites, sans lien avec la raison de la consultation, ou chez des personnes qui ne rapportent aucun symptôme.
Vous passez une IRM pour douleur de type méniscale, et l’imagerie révèle de l’arthrose dans votre genou. Sachant qu’on en trouve chez 43 % des personnes asymptomatiques de plus de 40 ans, que devrait faire votre professionnel de la santé ?
Dans bien des cas, cette trouvaille fortuite devient une pathologie additionnelle à soigner. Passer un tel examen paraclinique accroît la probabilité de recevoir des injections, de subir une chirurgie – bref, d’être surtraité pour une prétendue pathologie qui n’est souvent que le résultat d’un processus normal de vieillissement.
Ces examens sont coûteux, anxiogènes et parfois dommageables pour la santé. On devrait en user avec modération, seulement pour affiner un diagnostic clinique qui nécessitera une approche de traitement différente ou pour préciser les pathologies graves ou à risque de complication.
Choisir le bon mode au bon moment
Dans les vingt dernières années, les thérapeutiques proposées pour traiter les blessures classiques de course à pied comme la tendinopathie d’Achille ont changé du tout au tout. On est passé du paradigme de la protection à celui de l’adaptation.
Dans le paradigme de la protection, on cherchait à réduire l’irritation et l’inflammation en prescrivant du repos, de l’immobilisation et des orthèses, jusqu’à ce que la douleur soit dissipée. Pendant ce temps, on multipliait les modalités passives comme les thérapies manuelles et les étirements, pour tenter de corriger ce qu’on croyait être la cause du problème : les raideurs, les désalignements ou les vices biomécaniques.
On sait maintenant que plusieurs de ces modalités sont superflues ou ne servent qu’à calmer l’irritation à court terme, et qu’elles déconditionnent les tissus à long terme. Elles restent toutefois valables, dans certains cas, pour la prise en charge immédiate des blessures récentes, traumatiques, en phase aiguë.
Par contre, pour l’étape subséquente de traitement et, surtout, la prévention des blessures, le mode d’adaptation est préférable. Bouger et se renforcer par une approche active stimule les tissus et augmente leur tolérance au stress mécanique.
Le passif est dépassé ; l’actualité, c’est l’activité
Plusieurs considèrent le corps comme une voiture : plus on l’utilise, plus il s’use. Selon cette façon de voir, le professionnel de la santé est un mécanicien. L’ennui, c’est qu’alimenter le besoin d’être « réparé » peut rendre le patient dépendant de son thérapeute. Cette dépendance aura un possible effet néfaste, ou nocebo : elle accroît le risque de faire persister les symptômes et de mener au surtraitement.
Or, contrairement à la voiture, le corps se reconstruit plus fort et plus endurant en fonction de l’usage. Muscles, tendons, ligaments, cartilages, etc., toutes ces structures s’adaptent, dans la mesure où le stress appliqué n’excède pas leur capacité d’adaptation. Dans cette optique, le professionnel de la santé est plutôt un expert en conditionnement physique. Parmi les outils dans son coffre, il doit choisir ceux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité, le meilleur rapport risques-avantages et les effets les plus durables dans le temps. Pour rendre les patients auto-efficaces et en contrôle de leur réadaptation, rien ne bat l’éducation au bénéfice d’une approche active autocentrée : bouger, écouter son corps et quantifier adéquatement son stress mécanique.
PEACE & LOVE pour les blessures traumatiques
Vous n’arrivez jamais à vous en souvenir : de la chaleur pour les pathologies chroniques et de la glace pour les blessures traumatiques, ou plutôt l’inverse ? En fait, ni l’un ni l’autre. L’option la plus simple est la meilleure : pour guérir vos entorses articulaires (chevilles, genoux, etc.) et vos lésions musculaires (claquage ou contusion), vous n’avez besoin que de PEACE & LOVE.
Accordez-vous d’abord du PEACE pour les soins immédiats, c’est-à-dire les deux ou trois premiers jours :
- Protégez le membre endolori en évitant les gestuelles douloureuses ;
- Élevez le membre plus haut que le cœur pour aider au retour veineux et lymphatique ;
- Évitez les modalités anti-inflammatoires (les pilules et la glace) afin de laisser la cascade inflammatoire réparer les tissus endommagés ;
- Compressez l’articulation blessée de façon à prévenir la distension des fibres causée par l’œdème (gonflement) ;
- Éduquez-vous en consultant un professionnel de la santé alerte et formé aux pratiques exemplaires, pour éviter la surmédicalisation, la surinvestigation, la surmédication et le surtraitement.
Puis, dès le troisième jour, passez graduellement en mode LOVE en vue de retrouver votre niveau fonctionnel.
LOVE pour les blessures non traumatiques
Votre blessure n’est pas une entorse articulaire ou une lésion musculaire aiguë, mais plutôt une blessure de surutilisation, communément appelée tendinite, périostite, fasciite ou fracture de stress ? Reprendre vos activités et revenir à votre niveau de forme sera encore plus simple. Après quelques jours de repos, passez directement en mode LOVE :
- Remettez progressivement en charge ou en tension (Load) les tissus atteints en quantifiant convenablement votre stress mécanique – laissez-vous guider par la douleur et l’inconfort, qui devraient diminuer de jour en jour, tant pendant l’activité qu’une heure après ou le lendemain matin ;
- Adoptez une attitude optimiste, confiante et positive pour optimiser la guérison en mettant votre cerveau à contribution ;
- Vascularisez quotidiennement le membre blessé en pratiquant une activité cardiovasculaire d’intensité modérée (par exemple de la natation avec un flotteur entre les cuisses ou du vélo stationnaire sans grande résistance) pour en accélérer la guérison ;
- Effectuez des exercices simples, fonctionnels et intégrés à vos activités journalières pour favoriser le retour à la normale de la mobilité, de la force et de la proprioception.
La médecine du sport sera toujours en quête de réponses plus claires aux nombreuses questions qui préoccupent les professionnels de la santé et du sport de même que les coureurs avertis. En revanche, un constat fait maintenant consensus : le corps humain est un formidable système, complexe, mais qui s’adapte aux stresseurs de son environnement. Aucun algorithme, aussi sophistiqué soit-il, ne pourra jamais rivaliser avec l’intelligence et l’adaptabilité du corps humain. Bougez au quotidien en le laissant vous guider, et il vous surprendra par ses capacités insoupçonnées. Offrez-vous la santé par la course à pied.
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