Une saison de résilience

  • Tiré de Instagram / Collection personnelle

Manquer les Jeux olympiques de Tokyo a été très éprouvant. Après une période longue et tourmentée de blessures, 2021 semblait enfin être l’année où j’avais le vent dans les voiles grâce à plusieurs mois consécutifs d’une constance inégalée à l’entrainement. Toutefois, une blessure subie dans une course et des occasions ratées ont compromis l’atteinte de l’objectif final.

Un tel revers est vraiment dur à encaisser quand tous les œufs sont dans le même panier depuis plusieurs années en vue de cet ultime but. Un autre aspect a rendu cet échec déroutant : la conviction que ma forme n’avait jamais été meilleure, même en 2016 lorsque j’ai participé aux Jeux de Rio. Soulignons qu’alors, je me suis préqualifié parce que j’avais couru le standard olympique en 2015, un luxe que je n’avais pas cette année. Malgré la grande forme, des circonstances hors de mon contrôle m’ont laissé à la maison. Or que fait-on quand on a une forme olympique… mais qu’on n’y va pas ?

Il est certain que les semaines suivant l’annonce de l’équipe olympique en athlétisme, le moral était plutôt bas. La pilule était difficile à avaler, un deuil était à faire. Et détrompez-vous, deuil ne signifie pas repos pour le corps. Les séances d’entrainement intenses ont continué, et les dix premiers jours, je réussissais d’excellents chronos, quoique pas avec l’aisance habituelle : je sentais un bloc dans ma poitrine et un manque de fluidité dans mes mouvements. Un bloc émotionnel, comme j’aime l’appeler.

Peu à peu, ça s’est dissipé. J’éprouvais du plaisir à me retrouver sur la piste, à côtoyer mes coéquipiers et à me dépasser. Ma fluidité est revenue graduellement. Le deuil s’estompait tranquillement et, le moral guérissant, le corps suivait. Ma progression s’est poursuivie de plus belle, et chaque fois que j’allais sur la piste, j’effectuais des séances bien au-delà de ce que j’avais accompli par le passé.

Cette forme exceptionnelle est une des raisons pour lesquelles j’ai pu poursuivre l’entrainement et vivre ce deuil. Même s’il peut paraître injuste de ne pouvoir prendre part aux Olympiques alors que je suis convaincu que j’aurais pu disputer la finale du 1500 m ou du 5000 m, j’ai confiance en mes capacités plus que jamais, je suis en bonne santé et je me trouve à un niveau que je n’ai jamais atteint tant sur le plan de la vitesse que de l’endurance. Je sais que si je continue à pousser, une occasion se présentera où je pourrai me faire valoir. Trop souvent, j’ai touché le fond du baril, blessé, sans possibilité de courir ni de m’entrainer pendant des mois, à me demander si je retournerai un jour à un niveau respectable. Et si j’ai appris quelque chose après avoir combattu des blessures durant des années, c’est qu’il ne faut pas tenir une bonne forme pour acquise. Du jour au lendemain, tout peut s’écrouler.

Les cuisantes déceptions font partie de la vie d’athlète, et il faut être prêt à vivre avec. Nous savons qu’il y a beaucoup d’autres courses d’importance en dehors des JO, et encore que j’aurais voulu y briller, je dois miser sur ces autres occasions. Cet état d’esprit aura été payant, puisque dans le mois suivant la fin de la qualification olympique, j’ai réalisé un record québécois sur 1000 m, chrono qui tenait depuis 31 ans, ainsi qu’un temps de 3 min 34,43 s sur 1500 m en Californie. Certes, il est doux-amer de répondre au standard olympique (3 min 35,00 s) trois semaines trop tard, cependant il s’agit de ma meilleure performance sur la distance depuis 2016, à seulement quelques centièmes de seconde de mon record personnel. C’est aussi un standard pour les championnats du monde qui se dérouleront à 2022 à Eugene, en Orégon, la mecque de la course à pied en Amérique. Pour une fois depuis très longtemps, je pars avec une longueur d’avance, et ça fait énormément de bien.

 

Charles Philibert-Thiboutot a participé aux JO de 2016 (1500 m sur piste).